Le dernier Tom Wolfe, un vrai kif !

Je ne sais pas comment vous vendre ce livre pour vous convaincre qu’il est absolument extra. Si vous aimez Tom Wolfe, si vous aimez les histoires de people vu du côté du détail, si vous vous marrez sur les codes, dress-codes, snobismes, histoires de boutons et de revers donc de caste, si vous vous intéressez à la façon dont les chics personnes se démènent dans les sixties à New-York city et à Londres, ce bouquin vous passionnera comme il m’a passionnée. C’est un régal !
Le titre où est mon stylo ? est nul. Mais on s’en fiche. En fait, ce n’est pas un roman mais une collecte de chroniques incroyables et incroyablement racontées, datant des années 60 et sorties dans des magazines, principalement le New York Herald Tribune. dans une traduction actuelle. Des chroniques dingues de people comme personne n’en avait jamais parlé, et qui ne relatent pas des événements précis mais sont plutôt des portraits ou des moment choisis dans la vie d’untel… .
Le premier chapitre consacré à Las Vegas donne le ton, drôlissime avec divers personnages et leur des description farfelue et jouissive.
Un chapitre très drôle sur Cassius Clay qu’on cueille dans son hôtel de luxe sur Central Park, entouré de ses « loutes », des nénettes très belles, qu’il va trimballer avec lui comme une queue de comète dans la boîte où il sait quel effet il fait.
Un autre dans une salle de spectacle en surchauffe avec de minette à frange et queue de cheval, hystériques parce ça y est, Mick Jagger a atterri aux States et va entrer en scène. La description de ses lèvres est inénarrable, les dialogues de ces petites nanas issues de la upper class dont l’une est invitée à la soirée des Stones est impayable.
Plus loin, Audrey Hepburn se rend, en limousine, chez le plus grand collectionneur qui lui présente de superbes chefs d’œuvre, Courbet, Monet, Lautrec… car elle désire agrandir sa collection. Savoureux.
On peut se retrouver dans une voiture à Londres conduite par un jeune homme sans-menton avec qui aurait bien couché Sue, 16 ans, pour faire la nique aux filles classieuses de l’école huppée qu’elle fréquente, scotcher celle qui a un ami kurde au pied bot, mais cet idiot ridicule ne va même pas se donner la peine de la faire monter chez lui car il a mal au bide… Tout ce chapitre nous dépeint ces petites écervelées et leurs guéguerre entre celle qui est plus in, l’autre la plus plouc etc… Croustillant.
Bon, il y en a plein d’autres, dans d’autres genres. Un sur la surpopulation humaine vs l’animale, avec études à la clé, très instructive. D’autres sur les grosses américaines customisées, les voitures bien sûr, mais aussi une strip-teaseuse aux seins énormes siliconés. Un chapitre édifiant sur Phil Spector… bref de quoi remplir les longues soirées d’hiver au coin du feu en écoutant du jazz ou un morceau de twist. Allez-y, c’est super drôle !

Où est votre stylo ? Chroniques d’Amérique et d’ailleurs, par Tom Wolfe, de 1963 à 68. Traduit et postfacé par Bernard Cohen. 2016 aux Editions Robert Laffont.
432 p. 22 €.

L'énorme bûche de Ken Kesey

Suite de ma plongée dans les 60’s où je vous reparle de Ken Kesey, le protagoniste « joyeux luron » (Merry Pranksters) du bus psychédélique (voir mon article sur Acid test de Tom Wolfe). Avant de faire ce trip bourré de came, Ken Kesey avait déjà écrit Vol au-dessus d’un nid de coucou avec le succès que l’on sait et ce mahousse roman Et quelquefois j’ai comme une grande idée, son meilleur selon lui.
C’est un engin énorme, lourd, dense, foisonnant mais pas du tout dans la veine hallucinatoire, bien que quelques passages écrits sous champignons bizarres. C’est une terrible épopée dans le noyau dur des bûcherons de l’Oregon qui se battent jour et nuit contre les éléments, les pluies diluviennes, la marée qui remonte le courant du fleuve, le froid, le relief pentu, les accidents de travail pour vendre leurs grumes, autrement dit les arbres qu’ils débitent dans cet Oregon quelque peu inhospitalier.
En scène une famille de mecs ultra burnés —  où un doigt tranché est aussi insignifiant qu’une piqûre de libellule  — qui résiste au puissant syndicat et à ses appels à la grève. Dans ce lieu trou-du-cul-du-mondesque  où les caractères les plus trempés (c’est le cas de le dire) se défient à mort, on va assister à l’affrontement de deux frangins, demi-frères, l’un une vraie brute de décoffrage, fort comme trois Turcs et l’autre, un étudiant de la ville sans cals aux mains, revenu au pays pour filer son aide. Officiellement. En fait pour dézinguer son frère après ce qu’il lui a fait jadis. Et pas que jadis. De la grosse merde, quoi. Et qui, malgré sa délicatesse d’intello, va se révéler opiniâtre et barjot.
Autour de cette famille (où vivent d’autres figures mémorables dont la femme du premier, jolie, non soumise, intello aussi) gravite un monde de brutes, de femmes larguées, de types starbés, qui se retrouvent dans le bar local pour se mettre minables et se foutre des danses.
Le vieux père des frères, sorte de Kirk Douglas recousu de partout, fort en gueule, n’est pas encore fini. D’ailleurs, le livre ouvre sur son bras arraché suspendu à une corde, faisant un doigt d’honneur à la communauté. On saura pourquoi.
C’est un roman sylvestre, tronc, écorce, engins qui pètent, os broyés, sang qui gicle mais aussi extraits de chanson du cru (des années 50 souvent),  poésie, citations de shakespeare ma chère ! et une ribambelle de noms d’oiseaux, de petites bêtes, de végétaux dont je ne suis pas sûre d’avoir entendu parler. Du Jim Harrisson puissance x.

Donc un bouquin énorme, formidable, lourd (1200 g. je l’ai pesé) dans les deux sens du terme, bourré de mousses (lichen et bibine), d’odeurs de terre, de flotte, de  maisons emportées par des ruptures de berges.  Il paraît qu’un film en a été tiré, faut voir…
L’éditeur, Monsieur Toussaint l’Ouverture, en a bavé. Si vous voulez savoir pourquoi, lisez cet article de Libé ici. Pareil pour le traducteur ! Et le lecteur n’est pas en reste car il y a très souvent des enchaînements non signalés d’un personnage à l’autre, des « je » qui se suivent dans des bouches différentes. Kesey nous aide parfois en ajoutant des parenthèses ou en mettant des italiques. Mais ce n’est pas la règle générale. Idem pour les glissements d’époques, comme dans les rêves où l’hier et l’aujourd’hui se fondent. Mais on s’en sort !
Bref, un travail de titan, un monstre de littérature.

Et quelquefois j’ai comme une grande idée, de Ken Kesey chez Monsieur Toussaint l’Ouverture. Edité en 64 sous le titre Sometimes a Great Notion, et en 2013 en France, traduit par Antoine Cazé, couverture réalisée par Blexbolex. 800 pages, 160 mm sur 235 sur 40 mm d’épaisseur. 24,50 euros.

Texte © dominique cozette

Dans la famille beat generation, je demande le bus…

Sur ma lancée des années beat qui se transforment peu à peu en années hippies, je continue avec cette histoire hallucinigène du bus des Merry Pranskers. Quel rapport ? Cassady, toujours. L’inénarrable Neal Cassady  que l’on retrouve au volant de cet improbable moyen de locomotion. Mais que fait-il là ? Le con, comme d’hab. Et puis il conduit, sans les mains, sans les yeux, sans les pieds. Comme tout le monde est camé à l’intérieur, ça baigne.
C’est Babbs et Ken Kesey, vous savez, celui qui a écrit le formidable vol au-dessus d’un nid de coucou qui a eu cette idée, après avoir expérimenté diverses drogues et constaté que le LSD, tout nouveau, ouvre l’esprit complètement. Quoi de mieux que de le faire savoir à tout un chacun ? Voilà le pourquoi de ce bus scolaire qu’il a racheté et, avec toute sa bande de farfelus explosifs, relooké aux couleurs psychédéliques et fluos des amateurs de champignons. Avec des aménagements insensés, toit ouvert pour y mettre l’orchestre, principalement les Grateful Dead, son hyper sophistiqué pour tout entendre, faire entendre partout, avec écho etc…, lumières, caméras (un film de 40 h. a été tourné). Le convoi s’ébranle pour semer la pagaille avec ses shows d’acid test un peu partout où chaque volontaire reçoit un diplôme.

Celui qui raconte cette folie, c’est le journaliste et romancier Tom Wolfe (le bûcher des vanités) qui fait accessoirement partie de la troupe, qui s’est aidé des films, des écrits, des enregistrements et témoignages des nombreux participants. Je ne dis pas que c’est facile à lire à moins (peut-être) d’être stone soi-même tant l’écriture est parfois confuse et allumée.
Néanmoins, cette épopée où les Merry Pranksters (joyeux lurons) ont rallié les terribles et impitoyables Hell Angels à leur cause ainsi que bien des populations, est assez rigolote. C’est quand même toute cette équipe qui a lancé le mouvement hippy et le graphisme psychédélique.
Pour échapper à ses condamnations pour usage de marijuana, Ken Kesey a dû se suicider avant de s’enfuir au Mexique pour retrouver le bus et continuer les tournées. L’histoire du suicide raté est à tomber. Comme son retour clandestin. Puis tout ça finira en Californie pour cause de flicage et peut-être d’usure normale.
Cassady, pour en revenir à lui, passe son temps à jongler avec un marteau, une masse de 2 kg qu’il lance et rattrape sans regarder, à longueur de temps, comme on mâche un chewing-gum. Outre sa conduite complètement délétère. Et ses excès de substances que le bus fournit en abondance. Document très intéressant. Enfin pour moi.
Au fait, quelqu’un a-t-il lu l’autre livre de Kesey Et quelquefois j’ai comme une grande idée, pavé de 800 pages paru en France récemment ?

texte © dominique cozette

Acid test par Tom Wolfe écrit en 68. Traduit par Daniel Mauroc en 78. Dans la collection Points. 534 pages, 8,30 €

Bloody Miami, sacré cocktail !

J’avais adoré le bûcher des vanités de Tom Wolfe et je ne me suis pas arrêtée à l’aspect pavé (plus de 600 pages, grandes page, écrites petit et dense) pour entreprendre la lecture de cette oeuvre dont le héros est une sorte de anti-héros, petit flic cubain culturiste, vivant dans une sorte de semi ghetto un peu minable, amoureux d’une bombasse de même couleur, sans aucune culture sauf celle de ses cheveux.

Ce que j’aime chez Tom Wolfe, c’est le côté journalistique de ses romans. Il passe des années dans les lieux de son futur bouquin, s’en imprègne, y repère les traditions pour nous immerger dans la scène du crime. Sauf qu’il n’y a pas de crime, ici, enfin pas vraiment. Ce que nous conte Wolfe, c’est l’antagonisme entre les Cubains — ce sont eux qui tiennent la ville et accessoirement la police et la presse — les Noirs qui se sentent encore plus méprisés lorsque ça vient des Cubains —, et les Anglos, autrement dit les Blancs, plus ou moins waspés.
Il se trouve que le chef des flics est un Noir, mis là pour désamorcer ce racisme latent inter-ethnique. Et qu’il est bien accepté. Il se trouve que les Cubains sont des immigrants favorisés par rapport à tous les autre (ça date des vieilles lunes castristes) car il suffit à un Cubain de toucher de son doigt de pied le sol américain pour en obtenir la naturalisation. Par contre, si on l’attrape avant qu’il ait sauté à quai, il est jugé sur un bateau et éventuellement renvoyé au pays. On apprend des tas de choses !
Or, voila-t-il pas que notre flic musclé, Nestor, arrache un Cubain du haut d’un mât pour le sauver d’une chute mortelle. Mais le pauvre mec ne touchera pas le sol ! Alors que Nestor, monté par la force des bras et redescendu itou avec le mec entre les jambes, est encensé par toute la presse Anglo, il devient illico le pire traître. Emeutes raciales etc… Sa bombasse le plaque pour d’autres raison car elle ignore ce foin, et devient la maîtresse d’un psychiatre qui soigne les addicts sexuels richissimes, c’est lui le tordu en fait, puis de fil en aiguille, celle d’un oligarque russe dont le musée de la ville porte le nom.
Roman très riche en détails sur la vie de tous ces gens et d’autres, bien sûr, ce qu’ils ont en tête, les rapports familiaux, les rêves de jeunes filles, les fantasmes de mecs, les parties fines de milliardaires en vadrouille à Miami.Très riche aussi — et c’est le seul point noir si je puis dire — en ponctuation irraisonnée, des séries de :::: ou de ;;;;; notifiant des apartés. Faut croire qu’ils en avaient plein en stock chez l’éditeur, à ne plus savoir qu’en faire Et aussi les onomatopées récurrentes pour une bande-son parfois tonitruante.  En même temps, ça n’empêche pas la lecture.
C’est un roman prenant, jouasse et jouissif, vigoureux et dru. J’ai aimé, voilà.
Bloody Mary de Tom Wollfe, chez Robert Laffont 2013 pour la traduction, 2012 pour la parution originale. 610 pages sans photos. €24,50.

Texte ©dominiquecozette

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