« Récolter, ramasser, garder le maximum de choses vues. J’aimerais pouvoir tout emmagasiner dans des entrepôts immenses où chaque objet aurait une place répertoriée. C’est ce que je fais dans mon travail, tout ce que je vois doit être reproduit, annoté et classé. Si le souvenir ne possédait pas sa trace il pourrait être oublié, tant de choses disparaissent avant même qu’on les ait retenues. »
J’ai découvert Sylvie Sauvageon au Salon Mac Paris en 2009. Son stand n’était pas loin du mien, ce qui me permettait d’aller le scruter de temps en temps. Oui, le scruter, scruter son travail de ouf qui, si on n’est pas au courant, peut ne pas accrocher l’oeil.
Comme cette oeuvre de 2,50 sur 3 mètres. Qu’a-t-elle de particulier ? Elle est entièrement réalisée au crayon de couleur. Vous imaginez le travail ! Cette image fait partie d’une petite collection de quelques autres décors aussi vastes, à l’échelle 1, plutôt désuets, qui témoignent de l’opiniâtreté de l’artiste à parfaire ce qu’elle entreprend. Ça s’appelle l’endroit du décor.
Sylvie fait des collections, de nombreuses et foisonnantes collections, commencées à une date précisée et toujours en cours. Les livres qu’elle lit, par exemple. Pour s’en souvenir. Tant pis si elle met plus de temps à reproduire à l’identique leur couverture qu’à les lire, c’est systématique. Un livre lu, un dessin au crayon de couleur.
Il y a aussi les collections d’objets, de choses vues en ville — principalement à Lyon où elle réside — ou lors de ses voyages.
Comme cette affiche sur un quai de gare, qui fait 185 x 130 :
Elle collecte des morceaux de Libé qu’elle redessine ensuite. Elle a réalisé une collection appelée « une seule image » : il s’agissait de reproduire la photo de Libé du jeune Tunisien qui s’est immolé, mettant le feu aux poudres de tout un peuple révolté. Quand elle a fini le dessin, elle l’a mis dans une enveloppe. Puis a fait le même, et la même manoeuvre. Et encore le même, jusqu’à épuisement de son intérêt. Alors, elle a sorti toutes les mêmes images pour constater qu’elles n’étaient pas vraiment les mêmes.
Il y a eu d’autres d’autres dessins gigantesques qui m’ont scotchée, comme cette caravane à taille réelle, exposée au Salon de Montrouge 2010, et aussi une imposante pelleteuse :
Toutes ces collections interminées sont triées, classées, référencées, rangées dans des boîtes elles-mêmes soigneusement classifiées. Car voyez-vous, ce que craint le plus Sylvie Sauvageon, c’est de perdre la trace. La trace de ce qu’elle a vu, lu, vécu, connu, effleuré. Rien ne doit partir dans l’oubli, tout est consigné sur le papier pour bien montrer que cet élément du monde est bien réel. C’est son disque dur.
Le site de Sylvie mais aussi son blog sont passionnants car vous y découvrirez la densité de ses textes, la poésie de ses peintures du rien paysager qu’elle glane ça et là, la richesse de son obsession à saisir la vie, mine de crayon. Impressionnant !
Texte © dominique cozette. Tous dessins © Sylvie Sauvageon