Dans les années 70, Michel Magne a créé, dans son chateau d’Hérouville, un somptueux studio d’enregistrement où les plus grands de la pop et du rock sont venus en résidence pour y graver d’inoubliables œuvres.
Mais qui est Michel Magne ? C’est un créateur génial, excessif, exubérant qui a commencé, dans les années cinquante, par composer des opéras expérimentaux et a été le premier a monter un ensemble de musique électronique. Il devient pote avec les plus en vue, Jacques Prévert, Vian avec qui il bosse, entre autres. Ses œuvres sont jouées dans des salles mythiques mais font scandales tellement c’est parfois inaudible. Il lui arrive de diriger son orchestre suspendu, la tête en bas (il est acrobate, aussi). Son talent va l’amener à composer des musiques de films — plus d’une centaine – dans les années soixante avec les plus grands (Magne vient du latin Magnus qui veut dire le plus grand) Gavras, Verneuil, Yanne… le cultissime Tontons flingueurs, c’est lui.
Avec l’argent pas dépensé (parce qu’il investit presque tout dans de grandioses fêtes) il achète le Château d’Hérouville dans l’Oise où il installe son premier studio, l’endroit où il rassemble tout. Il travaille comme une bête parce qu’il adore ça, fait la fête la nuit, bosse le jour et bouffe des pilules pour se tenir en forme.
Hélas en 1969, on ne saura jamais pourquoi, la partie du château où se trouve son studio flambe complètement. Ses bandes, ses partitions, ses disques, ses notes, ses archives, tout part en fumée. Il n’existe pas de sauvegarde à cette époque. Il a tout perdu, il est démoli. Peu à peu, comme il gagne de l’argent, il le réinvestit dans ce beau lieu et crée ce fameux complexe de résidence pour artistes qui viennent y concocter leurs albums. Il aménage de nombreuses chambres tout confort, prend un super cuisinier, monte une cave de luxe, fait construire une piscine et que la fête commence ! Pink Flyod, Bee-Gees, Grateful Dead, Higelin (qui vivra dans la bergerie par la suite), Elton John, Bowie, et beaucoup de groupe Français s’y donneront à cœur joie parce que les studios ont réellement le matos de pointe, et que surtout, travailler plus faire la fête au même endroit, quoi de mieux ?
Il épouse le jeune fille qui était venue comme fille au pair pour ses deux gamins, ils ont un garçon, c’est formidable cette vie de dingue. Formidable mais ruineux. Magne n’est pas gestionnaire. Acculé par les dettes, il confie la gestion du château à un pro qui hélas, serre la vis au maximum. Ça ne marchera pas, les artistes sont frustrés, la récré est finie, les dettes sont trop énormes, le château est mis en vente, ses droits d’auteur sont saisis. Comme il n’a plus rien à lui, il prend les milliers de bandes magnétiques pour les tisser, composer d’étonnantes œuvres plastiques qu’il expose.
Une descente aux enfers qu’il endure comme il peut. Mal. Beaucoup des gens sur qui il comptait lui tournent le dos, et bien qu’il travaille encore, il sombre dans la mélancolie. Il devient invivable, sa femme s’éloigne, bref, tout s’écroule autour de lui, il n’a plus de jus pour renaître une troisième fois. Alors il se suicide. Il a 54 ans. La légende, elle, restera inscrite dans la grande histoire de la pop et ses musiques continueront à tourner. Michel Magne est devenu un mythe.
Les amours d’Hérouville est un splendide roman graphique, riche, dense, un collage palpitant où, parmi les planches de BD, s’intercalent de nombreuses photos de l’époque, articles de journaux, bouts de partoches, témoignages… Récemment, à l’occasion de cet album, sa femme est revenue sur les lieux abandonnés. Elle envisagea d’exposer tout ce qui prolonge la mémoire de ce génie incroyable. Petite vidéo ici.
Les amours d’Hérouville, une histoire vraie, de Yann le Quellec et Romain Ronzeau. 2020 aux éditions Delcourt. 256 pages,