Hiérarchie pas au lit va au pot !

"Je ne connais pas encore les projets que ma hiérarchie me prête"

Deux sociologues se sont mis en tête de traquer les raisons culturelles qui font que nous acceptons le capitalisme alors que nous en comprenons les dégâts. (…) Pour eux, la théorie du capitalisme se trouve dans les ouvrages de management. Leur idée, c’est que la théorie du management est la théorie de l’exploitation. Le management sert à apprendre à nos futurs directeurs à nous exploiter. Pour le prouver, ils ont entré dans un ordinateur 90 ouvrages de management de l’année 1960 puis 90 de l’année 2000. Ils ont lancé un logiciel d’analyse du langage pour savoir quels étaient les mots qui arrivaient les premiers.
En 1960, le mot le plus souvent cité est « hiérarchie ». Normal, on voit bien pourquoi il faut apprendre à nos futurs dirigeants à raisonner en terme de hiérarchie. Combien de fois le mot hiérarchie apparaît-il dans les 90 ouvrages de l’an 2000 ? Zéro fois ! Le mot hiérarchie a disparu de la théorie du capitalisme.  Si comme moi vous pensez qu’elle n’a pas disparu et qu’à bien des égards elle s’est renforcée — mais qu’on ne plus la nommer — alors on ne peut plus la penser en tant que hiérarchie. Et le syndicalisme est confronté à un problème. Autant on peut mobiliser un collectif de travailleurs contre une hiérarchie, autant il est extrêmement improbable de lancer des individus à l’assaut de ce qui tient aujourd’hui de hiérarchie… Et quel est ce mot ? Ce mot qui arrive en tête des 90 ouvrages du management de l’an 2000 ?  (le public : solidarité ? participation ? réussite ?). Ce mot est « projet ». Nous ne pouvons pas le combattre parce qu’il est tellement positif, il a tellement colonisé nos façons de penser en 20 ans, c’est un mot récent, que nous ne pouvons plus penser en dehors de lui ! … Les jeunes doivent avoir des projets, les pauvres doivent faire des projets, les gens les plus en difficultés, on leur demande des projets. Il faut avoir un projet de vie. Les seuls à qui on ne demande pas de projets sont les riches ! … Ce mot transforme tout ce qui bouge en produit, en marchandise, même du social, de l’éducatif, du culturel.
Avant, dans les années 60, un éducateur travaillait dix, douze ans dans un quartier. Aujourd’hui, on réunit un groupe de jeunes, on monte un projet, on le défend, on obtient une subvention.  Il dure un an et n’est pas encore fini qu’on présente un autre projet pour obtenir la subvention suivante…. Le mot projet a transformé insidieusement notre vie en un processus de marchandise. … On nous a volé des mots, et on nous a fourgué à la place de la camelote.

Ce texte  est un passage un peu résumé d’une « conférence gesticulée »  de Franck Lepage qui explique  comment, si l’on n’a pas le mot, on ne peut pas avoir la pensée. Remplacer les mots qui dérangent  par des mots bien choisis  (hiérarchie par projet, licenciements collectif par plan social ou restructuration, exploités par défavorisés) déforme effectivement la façon de penser. Annihile la critique. Paralyse l’action. Depuis que j’ai vu Franck Lepage, le mot projet n’a cessé de m’interpeller.
Vous pouvez voir cette conférence scotchante d’intelligence et drôlissime en cliquant ici, ou sur bien d’autres sites car Franck Lepage aime qu’elles circulent.

peinture sur tôle © dominiquecozette

Ne pas jeter SVP

C’est recta, chaque fois que je me débarrasse de quelque chose, j’en ai besoin dans les jours qui suivent. Si c’est un chandail rayé, la mode revient le lendemain, comme par hasard. Si c’est des bouquins, j’ai subitement besoin d’en relire un passage pour étayer une thèse. Si c’est des chaussures, c’est trop bête parce que  c’est exactement celles qui conviendraient pour des travaux de ciment. Si c’est de vieilles lettres d’amour, j’ai subitement une idée de collage artistique pour les utiliser. Et tout à l’avenant ! Même — et surtout — si je n’en avais plus l’usage depuis des années, voire des décennies.
Prenez ma femme, par exemple… Voilà des siècles qu’elle croupissait dans notre histoire entre sa cuisinière, son balai, son épicerie et sa télévision. Je ne m’en servais plus du tout. C’est moi qui faisais tout. Je m’en suis donc débarrassée aux beaux jours du printemps. Et figurez-vous que d’un seul coup, j’en ai besoin ! Non qu’elle soit redevenue à la mode ou qu’elle s’avère très pratique pour assouvir mes désirs masculins — je n’en ai plus — mais pour ma future exposition. D’habitude, j’aimais avoir pour modèle de jeunes beauté lisses et passagères, faciles à rendre. Mais là, depuis que j’ai vu Lucien Freud, je suis convaincu que ma femme, toute horrible et vieille qu’elle est, représente LE modèle idéal du peintre contemporain.
Alors, je l’appelle. Je sors la nuit, je hurle son nom dans les terrains vagues ou près des friches industrielles, je crie Aline, Aline pour qu’elle revienne mais balpeau. Un seul hêtre vous manque, comme disait le garde-forestier…

Texte et dessin © dominiquecozette

Je me souviens… de rien

Protection de notre intimité ?

On nous bassine avec Internet, Facebook et autres réseaux sociaux qui garderaient, gravés dans leur mémoire d’éther, les faits, gestes et pensées qu’on leur aurait confiés volontairement ou non. Nos orientations politique, sexuelle, religieuse nous poursuivraient sans merci jusqu’au fond de notre urne funéraire !!! Et donc, il faudrait légiférer, protéger, « réfléchir à l’instauration d’un habeas corpus numérique, qui garantira aux citoyens les mêmes droits dans le monde numérique que dans le monde réel » (Emmanuel Hoog, PDG de l’Ina).
Ouais, ben j’vais vous dire une chose, comme dirait l’autre, il y a belle lurette qu’on a répertorié mes faits, gestes et divers dans un vivier de données informatiques bien avant que je ne fasse mon trou sur la Toile. Et les vôtres itou. Exemple ? Les relevés bancaires. Depuis que vous possédez un chéquier, les banques peuvent reconstituer votre vie : où vous achetez, ce que vous achetez, vos restos, vos voyages, vos abonnements divers, vos dons, votre propension à gaspiller ou à économiser, votre consommation de n’importe quoi, votre week-end à Bayeux avec votre chéri(e) le 15 juin 1989, vos maladies (ajoutez-y les archives sécu), etc, etc… Si l’on avait besoin de dresser le portrait de quelqu’un, à mon avis, il serait plus judicieux de le demander à  une banque qu’à farfouiller sur Internet.
Et puis, si on se met sur des réseaux sociaux, c’est bien pour se faire buzzer, non ?

Texte et dessin © dominiquecozette

Mensonges d’un jour d’été

Non, un très beau temps...

Le temps pourri qui n’a pas l’air d’épargner grand monde en ce week-end pascal, vous allez voir que personne de ceux qui partent n’en aura subi les conséquences. Parce que c’est typique, comme disent des gens dont je ne citerai pas le nom, les gens ont tous la chance d’avoir un micro-climat dans leur endroit de villégiature. La France est une mosaïque de micro-climats distribués généreusement aux salariés qui prennent leurs ponts.
Mais pas que ça.
Le week-end de Pâques est généralement très chargé lorsque le lundi de Pâques tombe un lundi. Comme cette année. Des centaines de milliers de voitures, on entend cela à la radio, sont sur sur nos belles routes et sur les belles autoroutes revendues à des sociétés privées. Mais là encore, nos salariés ont une chance de cocu. Presque tous — ne généralisons pas — presque tous donc vont se vanter de n’avoir mis que trois heures pour aller à Truc-les-Oies de porte à porte ! Pas un bouchon, rien !!!
Ce sont les gens. Ils ne veulent pas être des victimes, ils ne veulent pas être des moutons. Alors, ils racontent des bobards, des petits mensonges qui les dédouanent et que personne ne croit ou dont tout le monde se fout. Puis, quand ils bifurquent vers la politique,  ils louent un jet privé avec l’argent du contribuable, ils vivent à moindre frais dans une HLM usurpée à des pauvres, ils s’arrogent les privilèges dus à leur rang d’êtres extraordinaires nés avec le cul bordé de nouilles et une petite cuiller en argent dans la bouche. Du plus bel effet. On est tous pareils.

Texte et dessin © dominiquecozette

Les taureaux adorent la corrida, c’est bien connu !

– T’as ta première corrida, dimanche ?
– Je te signale qu’on ne participe jamais à une deuxième corrida !
– Et alors, ça te fait quoi ?
– Comme tu vois, je rayonne ! J’ai une super forme et les arènes sont déjà blindées. C’est un beau sport, tu sais, et je suis fier d’en être !
– Tu n’as pas peur de souffrir ?
– Meuh non ! Dans le feu de l’action où l’on se bat à armes égales avec le valeureux Homme-Dieu,  on oublie toute souffrance, nous ne sommes pas des bêtes, tout de même !
– Et  mourir, ça ne te fait pas peur ?
– On va tous y passer, autant le faire en beauté ! Toutes ces belles dames qui t’admirent et tous ces hommes qui t’encouragent, non, je te jure, un taureau qui meurt lors d’une belle corrida, c’est exaltant !
– C’est quand même une torture, non ? Tu agonises, on te coupe la queue et les oreilles…
– Oui, c’est l’inconvénient. Mais tu sais, je suis un vrai taureau, un bon taureau, et si  l’Homme-Dieu a décidé de nous infliger cette épreuve, il faut s’en montrer digne.
– En somme, la corrida, tu es pour !
– Tous les taureaux sont pour, évidemment, comment peut-il en être autrement ! Ça serait interdit, sinon !

Si vous, vous êtes contre la corrida, faites un tour au CRAC, le Comité Radicalement Anti-Corrida, c’est ici.
Et puis vous pouvez aussi signer la pétition contre l’inscription de la corrida au patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco, c’est ici.

Texte et dessin © dominiquecozette

Le guide du croûtard de Perec

« Il y a quelques années, j’ai eu, en l’espace de trois mois, l’occasion de prendre quatre repas dans quatre restaurants chinois respectivement situés à Paris (France), Sarrebrück (Allemagne), Coventry (Grande-Bretagne) et New-York (Etats-Unis d’Amérique). Le décor des restaurants étaient peu ou prou le même et sa sinoïté s’appuyait chaque fois sur des signifiant quasiment identiques (dragons, caractères chinois, lampes, laques, tentures rouges, etc.). Pour la nourriture, c’était beaucoup moins évident : en l’absence de tout référent, j’avais jusqu’alors naïvement pensé que la cuisine chinoise (française) était de la cuisine chinoise. Mais la cuisine chinoise (allemande) ressemblait à de la cuisine allemande, la cuisine chinoise (anglaise) à de la cuisine anglaise (le vert des petits pois …), la cuisine chinoise (américaine) à quelque chose d’absolument pas chinois, sinon à quelque chose de vraiment américain. Cette anecdote me semble significative mais je ne sais absolument pas de quoi. »

(Il suffit d’aller dans un restaurant français à l’étranger pour s’en convaincre. mais quelle idée d’aller dans un restaurant français quand on est ailleurs !)

© Georges Perec. Penser/classer
Dessin © dominiquecozette

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