C’est recta, chaque fois que je me débarrasse de quelque chose, j’en ai besoin dans les jours qui suivent. Si c’est un chandail rayé, la mode revient le lendemain, comme par hasard. Si c’est des bouquins, j’ai subitement besoin d’en relire un passage pour étayer une thèse. Si c’est des chaussures, c’est trop bête parce que c’est exactement celles qui conviendraient pour des travaux de ciment. Si c’est de vieilles lettres d’amour, j’ai subitement une idée de collage artistique pour les utiliser. Et tout à l’avenant ! Même — et surtout — si je n’en avais plus l’usage depuis des années, voire des décennies.
Prenez ma femme, par exemple… Voilà des siècles qu’elle croupissait dans notre histoire entre sa cuisinière, son balai, son épicerie et sa télévision. Je ne m’en servais plus du tout. C’est moi qui faisais tout. Je m’en suis donc débarrassée aux beaux jours du printemps. Et figurez-vous que d’un seul coup, j’en ai besoin ! Non qu’elle soit redevenue à la mode ou qu’elle s’avère très pratique pour assouvir mes désirs masculins — je n’en ai plus — mais pour ma future exposition. D’habitude, j’aimais avoir pour modèle de jeunes beauté lisses et passagères, faciles à rendre. Mais là, depuis que j’ai vu Lucien Freud, je suis convaincu que ma femme, toute horrible et vieille qu’elle est, représente LE modèle idéal du peintre contemporain.
Alors, je l’appelle. Je sors la nuit, je hurle son nom dans les terrains vagues ou près des friches industrielles, je crie Aline, Aline pour qu’elle revienne mais balpeau. Un seul hêtre vous manque, comme disait le garde-forestier…
Texte et dessin © dominiquecozette