Peindre, pêcher et laisser mourir de Peter Heller est un livre magnifique. je ne connaissais pas le succès de ses débuts, La Constellation des chiens, et c’est une de mes libraires qui me l’a fait découvrir. Et quelle découverte ! Déjà, j’aime beaucoup des écrivains de la famille de l’immense Jim Harrison décédé récemment et dont j’ai tout dévoré mais Heller, en plus, tout en s’en approchant, ‘en affranchit par un style plus percutant, plus dynamique. Il est loin néanmoins de s’affranchir de la poésie qui fait le sel des situations naturalistes dépeintes. D’ailleurs, on y retrouve l’amour des paysages grandioses, des animaux de toutes sortes, les plus sauvages qui se planquent dans les vastes forêts, mais aussi la passion dévorante (comme une addiction ici) pour la pêche à la truite dont les rituels nous sont contés avec force détails — la fabrication maison des mouches, les sortes de lignes, de fils de soie, de waders … — et sans que cela nuiset à la fluidité de l’histoire qui nous prend rapidement aux tripes.
Ah oui, un suspense sanguinolent, parfois insoutenable dû à la situation très précaire de notre héros qui s’appelle Jim (tiens donc !) et est devenu courageusement sobre depuis qu’il a (presque) flingué un homme genre pédophile dans un bar. Et les pulsions de haine à l’encontre des méchants et des cruels, ceux qui blessent, frappent ou tuent des êtes sans défenses, humains comme animaux vont se produire assez vite, parfois réfrénés. Sans avoir tué l’immonde personnage qui s’en prend à une petite jument, il va se foutre dans une drôle de merde. Et il ne sera pas longtemps innocent.
Entre les parties de cache-cache avec les bourrins qui le persécutent, les policiers qui le suivent à la trace et ses accès de culpabilité, nous sommes loin d’avoir affaire à un homme d’airain. Sa fille est morte, elle avait quinze ans, il pense qu’il aurait pu éviter ça et depuis, il vit d’une drôle de façon, pas vraiment catholique, c’est sûr. Il trouve son exutoire dans deux disciplines qui demandent patience et concentration : la pêche qu’il pratiquait avec sa fille qui adorait ça et qu’il continue pour faire comme s’il vivait encore avec elle. Et la peinture, une peinture sauvage, incisive, tripale qui lui permet de s’extraire de ce monde de terreur qu’il a initié. Une sorte de résilience, quoi.
C’est formidable, beau, surprenant, pas un gramme de gnangnantise, puissant et ce, jusqu’à la toute dernière ligne.
Ne vous privez pas d’un tel plaisir !
Peindre, pêcher et laisser mourir de Peter Heller. (The Painter, 2014). Aux éditions Actes Sud et Babel, traduit pas Céline Leroy. 476 pages, 9,80 €.
Texte © dominique cozette