John est sur son ordi, très concentré. D’un seul coup, Helen, sa voisine d’open-space, l’interpelle :
– Tu viens avec nous, Johnny, on fête la/
John l’interrompt brutalement :
– Ta gueule, merde ! Tu vois bien que je bosse, là !
Là-dessus, il appuie sur une touche de l’ordi. S’affiche : mission accomplie. Se tournant vers Helen :
– Excuse-moi, j’étais en pleine action. Vous allez fêter quoi ?
– la naissance des jumeaux de Dwell… Tu nous accompagnes ?
John part avec le groupe au diner du coin d’à côté de la porte du coin. Bien sûr, ils ne vont pas boire d’alcool, pas même une bière, cela n’est pas bien. John aurait bien pris un truc fort pour faire passer la pilule. Il a l’impression qu’il a tué aussi des civils. Et ce n’est pas bien. Mais il n’en saura jamais rien. On ne leur dit rien. John, comme quelques autres vrais pilotes de chasse, téléguident dorénavant des drones, bien assis dans leur fauteuil ergonomique devant leur écran de … simulation.
Mais ce ne sont plus des simulations. Les drones qui rasent les mottes ou les sommets de lointains pays, là-bas, Pakistan, Afghanistan, lâchent brusquement la mort sur l’ennemi. Le tuent, quoi. Et bien souvent, ce sont des civils : le tiers des victimes, en fait.
Voilà la guerre aujourd’hui : un jeu video. On ne se salit plus, on n’endure plus les souffrances de l’ennemi, on fait ça de très loin, entre deux tours à la cafète du burlingue, comme les chefs de guerre, vous me direz, qui, loin des batailles, ordonnent massacres, tueries et exactions diverses.
J’adore le progrès ! Et ton papa, il fait quoi ? Ben, il bosse sur un écran… Et loin là-bas, un gosse, une femme, un pépé explosent parce que le gentil papa a cliqué sans bruit sur une touche de son ordi.
Dessin et texte © dominiquecozette, d’après un article des Inrocks.