LE GAINSBOOK, en studio avec Serge Gainsbourg est un livre impossible à résumer. Pourquoi ? Parce qu’il est au contraire une dissection minutieuse de tous les éléments constitutifs de l’art de Gainsbourg, de ce qui a forgé son inspiration, de ce qui a nourri ses musiques, ses chansons, ses pensées, son art de placer les voix, de situer chaque instrument dans un morceau, de coller des milliers d’éléments entre eux pour en faire une petite œuvre.
Pendant deux décennies, quatre passionnés de musique et de Gainsbourg, Sébastien Merlet, Christophe Geudin, Jérémie Szpirglas et Andy Votel ont enquêté sur ce dont aucun des presque 200 livres sortis après la mort en 91 n’a su parler : que se passe-t-il derrière la porte des studios ? Ils ont voulu tout savoir sur la naissance des chansons de Serge, comment elles ont été créées, quand, pour qui, sous quelles influences et comment elles ont été fabriquées, dans quels studios, quel pays, avec quels arrangeurs, orchestrateurs, musiciens, producteurs, combien de pistes, etc… tout tout tout. Tout le livre est traversé par les époques musicales, les découvertes, les influences, les changements de mode, les interprètes, les réals pour les BO etc.
Pour ce faire, les auteurs sont allés farfouiller dans les souvenirs des participants aux œuvres, ceux qui étaient encore vivants. Ils ont retrouvé tous les bulletins de dépôt de Sacem, les bandes originales avec les fiches techniques, les émissions TV et filmages divers. Un boulot de titan relaté ici chronologiquement. Ils mettent l’accent sur le fait que Gainsbourg accumulait toutes les notes gribouillées de ses textes et s’en resservait des années après en les sortant de leur contexte temporel ou musical.
On réalise aussi le travail gigantesque réalisé par un compositeur hors pair, Alain Gorager, sur quelques lignes mélodiques de Gainsbourg, sans d’ailleurs que celui-ci ne le crédite sur ses galettes. Plus tard, il s’adjoindra le talent majuscule de Michel Colombier puis de Vannier. Lorsqu’il trouve un partenaire idéal, lorsqu’il passe de super moments dans des studios, il y reste fidèle. Jusqu’à ce qu’il décide de faire peau neuve, d’étonner, de provoquer.
Tout est finement analysé, la couleur des enregistrement, le son, l’ambiance comme seuls savent le faire les connaisseurs passionnés. On peut mieux comprendre les chansons, notamment des premières années, en découvrant que pour certaines, il y avait quatre pianos ensemble (exceptionnel), ou juste une guitare (super Elek Baksik) avec une basse etc…
On y apprend comment le Poinçonneur des Lilas est devenu l’hymne des scouts de l’armée israëlienne.
On découvre comment et par quelle grâce il a pu écrire Anna, la comédie musicale avec Anna Karina, Brialy et lui, les nuits blanches pour écrire, parallèlement, pour une myriade d’interprètes tout en apprenant à chanter à Brialy. (Il continuera à accumuler les commandes jusqu’au bout sans jamais faire défaut aux artistes).
Il n’improvisait rien comme on a pu le penser, il avait en tête l’exacte coloration qu’il voulait, apportant parfois en studio des piles de disques avec des petits passages qu’il montrait aux arrangeurs. Puis plus tard, des mini-cassettes où il enregistrait de nombreuses bribes de musiques à orchestrer.
Mais pour notre plus grand plaisir, y figurent des anecdotes tendres, drôles, bizarres. Un jour, Colombier a engagé Arpino pour ses talents de siffleur. Gainsbourg et lui commencent à siffler face à face et là, Arpino explose de rire parce que Serge, lorsqu’il siffle, a les oreilles qui s’écartent. Ils ont tellement ri que la séance n’a pas pu se faire, malgré un panneau installé en secours entre eux deux.
Labro lui apporte les textes qu’il a écrits pour Birkin. Affalé et fumant clope sur clope dans son canapé rue de Verneuil, Serge lit les textes. Puis d’un seul coup, il se lève, va au piano et là, en une après-midi, il compose les mélodies de ses six textes. « Je suis scié » dit Labro.
La veille de l’enregistrement de « Aux Armes et Cætera », à Kingston, Gainsbourg n’a pas les paroles. Comme d’habitude finalement. Il dépose des feuilles blanches partout dans sa chambre, sur son lit, sous l’œil plus qu’inquiet de Lerichomme, son producteur. Celui-ci vient le réveiller le lendemain matin. Gainsbourg ne dormait pas et avait noirci toutes les feuilles. Ils les ont réorganisées ensemble et à 11 heures, ont filé au studio où Serge les a chantées.
On n’en finirait pas, le livre fait 450 pages. Y sont même créditées les pubs qu’il a concoctées, souvent réalisées lui-même, comme celle pour Pentel de l’agence Lintas où j’étais, mais pas à cette époque. Créditées également les one shots comme les émissions de télé, les duos éphémères, etc. Ses films aussi et les projets qui n’ont pas pu aboutir pour une raison ou une autre.
Les états d’âme évidemment de Serge y sont relatés, les pleurs qu’il versait dans de grands moments d’émotion (quand il s’est planqué pour écouter Rostropovitch qui était en résidence avec lui mais qu’il n’a jamais osé aborder), quand il a vu sa petite Charlotte chanter avec application. Et tous les moments de sentimentalité avec Jane, même après leur séparation.
Puis on le voit se détruire par l’alcool et cependant rester toujours parfaitement lucide lorsqu’il était en studio pour lui ou quelqu’un d’autre.
Le livre est énorme, taille des 30 cm, bourré de photos, celles de chaque pochette de disque en granduer nature, de documents, de morceaux de partitions, de manuscrits et chaque chapitre se clôt par les fiches techniques des enregistrements avec date, studio, et toutes les personnes impliquées. Ne parlons pas des centaines de notes pour éclaircir encore le sujet !
Passionnant, émouvant, impressionnant. LE livre sur Gainsbourg, en fait. La référence.
On peut écouter ici une interview de deux auteurs du livre qui expliquent bien mieux que cet article la teneur de leur analyse.
Jacqueline, la sœur ainée de Serge, se montra impressionnée lors de la sortie du livre par la somme de choses encore à découvrir sur son frère.
LE GAINSBOOK, en studio avec Serge Gainsbourg par Sébastien Merlet, Christophe Geudin, Jérémie Szpirglas et Andy Votel. 2019 aux éditions Seguers. 450 pages. 42 euros.
Texte © dominique cozette