Une sale affaire

Ce livre passionnant, récit de Virginie Linhart, porte un titre tellement parlant ! Une sale affaire ! Car il narre le procès intenté par la propre mère de l’autrice et son ex-compagnon, jamais cité, l’homme qui l’a plaquée lorsqu’elle attendait les jumeaux (dont un est mort pendant la grossesse). Cet homme, E, dont on ne saura rien, est resté très ami et complice de la mère de l’autrice tandis que grandissait la fillette dont il était le père génétique. Et c’est parce qu’elle raconte l’histoire de son enfance, son adolescence, sa jeunesse auprès d’une mère explosive de liberté et de sexualité et celle de l’abandon de l’homme qu’elle aimait, qu’elle est assignée. Ils lui reprochent tous les deux une atteinte à la vie privée. Imaginez déjà le traumatisme. Et ceci, à un mois de la parution du fameux livre évoqué tout au long de audience, « l’Effet maternel » (que je suis en train de lire).
Tout long de cette procédure très fournie en exemples de biographies et autres autofictions, de jurisprudence, d’articles de loi, on s’interroge avec l’autrice sur ce qu’on peut ou non écrire sur sa propre histoire. Sachant que sa mère, divorcée de Robert Linhart, ex-militant communiste et grand intellectuel, a déjà abondamment parlé d’elle et de ses excès, que c’est de notoriété publique qu’elle désire vivre sans entraves comme le lui a appris mai 68, sachant aussi que l’ex de Virginie n’est jamais décrit, juste figuré par l’initiale E., que son métier a été changé et qu’il n’y a aucun moyen de savoir de qui il s’agit, c’est très gonflé de leur part d’assigner Virginie en justice et d’exiger qu’elle supprime soixante-dix pages de son récit. Qui ne ressemblera plus à rien.
Et pendant ce temps, à un mois de la parution donc, il lui faut répondre aux interviews comme si de rien n’était, il lui faut garder son sang froid, il lui faut affronter le couple mère/ex-compagnon au tribunal. Cauchemardesque.
Toutes les questions posées par le procès sont pertinentes et les avocats, d’un côté comme de l’autre, ont amassé quantité de documents pour défendre leurs causes, c’est ça qui est passionnant. Même si on sait que livre est paru (il y a quatre ans), on tremble face au couple infernal et déterminé.
« La peur de ne pas savoir se comporter. La peur de ne pas tenir physiquement dans la salle d’audience, face à ma mère et mon ex-compagnon, unis contre moi. La littérature m’a toujours soutenue, guidée, rassurée ; cette histoire-là, je ne l’ai lue nulle part : une mère qui attaque sa fille en justice en pactisant avec l’homme qui l’a fait le plus souffrir et dont elle a un enfant. »
Les belles histoires de famille, on n’en a jamais fini.

Une sale affaire par Virginie Linhart, 2023, aux éditions Flammarion. 180 pages, 21 €.

Texte © dominique cozette

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