Vivre vite (mourir jeune)

L’autrice Brigitte Giraud attribue la citation Vivre vite mourir jeune à Lou Reed. Peut-être ajoute t-elle. Elle a intitulé son dernier opus Vivre vite. Ce n’est pas un roman, loin s’en faut, c’est une blessure non cicatrisée après vingt ans. C’est ce qui n’aurait jamais dû arriver à son homme — accident mortel à moto — si ceci et puis si cela et puis si encore etc.
La construction du récit me rappelle le superbe film de Dominique Moll La Nuit du 12 où il relate la vaine enquête de la police pour retrouver l’homme qui a tué une jeune fille en la brûlant vive. Dès le début, une voix dit qu’on ne l’a jamais retrouvé, mais à chaque nouvel élément, le suspens est là, nous croyons que l’assassin sera arrêté. Et puis non. Dans ce livre, c’est un peu pareil. Brigitte Giraud liste tous les faits qui auraient pu éviter la tragédie, des choses que normalement on ne fait jamais, ou n’ont pas de raison de se faire, et les décortique minutieusement jusqu’à ce qu’on comprenne, comme elle, que ce qui est fait est fait.
Mais reprenons cet énorme drame : Le couple, qui a un garçon de sept ans, décide d’acheter une maison, avec un jardin, une pièce qui puisse servir de bureau à l’autrice déjà écrivaine, et surtout un garage pour la moto du mari. C’est un motard passionné  mais qui sait rester prudent. Le propriétaire de la maison accepte de leur donner les clés deux jours avant la signature. De plus, le frère de Brigitte part en vacances et cherche un lieu où enfermer sa précieuse 900 Honda CBR Fireblade, une moto tellement démoniaque (tous les détails techniques sont dans le livre) qu’elle a été interdite au Japon mais que l’Union Européenne a accepté de commercialiser malgré les accidents*. Et les autres nombreux autres petits (ou pas, comme la transgression qui a poussé Claude à utiliser cet engin sans autorisation de son beau-frère ni assurance spécifique qu’il aurait fallu prendre) faits sont relatés ici qui ont conduit l’homme à la mort. Des choses avec ou sans importance : un coup de fil à la mère, l’oubli de prendre les billets dans un DAB, l’accident de Stephen King, l’écoute d’une musique plutôt qu’un autre etc.
Le pire, c’est que l’écrivaine était à Paris pour un rendez-vous littéraire et n’a pas non plus donné le coup de fil disant à Claude de ne pas aller chercher le gamin à l’école. Et explique pourquoi elle n’a pas passé le coup de fil, une raison réellement stupide.
Donc, la maison était encore vierge d’habitation quand Claude est mort. On imagine (ce n’est pas dans le livre) l’installation de cette femme brutalement veuve, avec un petit garçon, devant investir un lieu de rêve, leur avenir, leurs projets, leur amour et peut-être un autre enfant. Seule définitivement. L’horrible étant que cette maison va être démolie pour un plan d’urbanisation quelconque.
Ce livre n’est pas romantico-pleurnichard, c’est juste moi. Il nous montre la fragilité de la vie. A quoi ça tient, tout ça. Quel en est le sens. Pourquoi. On s’interroge même sur toutes ces morts que nous n’avons pas vécues car il n’y a pas eu ces petits grains de sable dans le déroulement de notre existence. C’est un livre minutieux, intelligent qui nous donne terriblement envie de rewinder les faits pour que Claude ne soit pas tombé inutilement, connement, gratuitement. Superbe

Vivre Vite de Brigitte Giraud. 2020 aux éditions Flammarion. 208 pages, 20 €.

* Cette moto a finalement été interdite en 2004.

Texte © dominique cozette

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