Le bouquin qui ne s'efface pas

J’ai enfin fini par l’acheter, le fameux Indélébiles de Luz. Luz, c’est un ancien de Charlie, un ancien de juste avant le massacre. Il a morflé. Il a échappé à la tuerie car il était en retard à la conférence de rédaction. C’était son anniversaire. Ce sera toujours son anniversaire. Il a croisé sans le savoir, et réciproquement, les tueurs qui sortaient de Charlie. Rongé par les cauchemars, il a réalisé l’album Catharsis, qui comme son nom l’indique… Et puis récemment, Indélébiles, qui raconte ses 23 ans passés à Charlie. D’abord, sa rencontre inespérée avec Cabu, la gentillesse du mec qui le prend sous son aile, l’emmène au bouclage. Pour lui, sa vie commence alors. Il a 22 ans, il est puceau, il débarque de sa province, abasourdi par l’ambiance du journal.
En fait, il fait revivre le journal et tous ses inoubliables amis, sous l’angle unique du dessin. Le reste n’est pas là, les engueulades, les scissions. Il nous montre comment se fabrique un hebdo dessiné, l’émulation des auteurs et de l’autrice entre eux pour faire la couv, leur générosité : ils se refilent leurs combines de dessin. Cabu montre comment il s’est entraîné à dessiner dans sa poche pour ne pas attirer l’attention lors de reportages par exemple. Luz invente et explique un procédé à base de persistance rétinienne. Dans le livre, on voit Luz partir en reportage. L’un est avec Renaud, fidèle allié du journal, qui va chanter dans un pays de l’est. Luz est arrêté, le policier confisque son carnet et Luz n’a qu’une idée : se souvenir des trait du bonhomme pour le restituer. D’autres reportages, l’un violent lors d’une manif où les flics tabassent la foule, un autre au RPR où il se fait passer pour un militant et où il lui faut cacher son statut : se couper les cheveux, se vêtir comme ces jeunes cons, tracter…et aller aux chiottes toutes les dix minutes pour dessiner, prétextant une cystite, maladie de nana, ce qu’il ignorait !  Puis un dernier tour de piste, fantasmé celui-là puisqu’il s’agit de la mort de Johnny. Tous sont là, les disparus compris. Luz, tout au long du bouquin, fait une fixette sur les bouts de gommes retrouvés, savoir à qui ils ont appartenu. Un livre drôle, instructif, touchant mais pas dans la larmoyure, bien au contraire.
Après avoir réalisé la couv d’après l’attentat où il dessine Allah qui dit « tout est pardonné », et qui fera le tour du monde, Luz quitte Charlie, il ne le lit plus et a laissé tomber le dessin politique.

Luz, Indélébiles, 2018 aux éditions Futuropolis, 320 pages, 24 euros

Texte © dominique cozette

Social media & sharing icons powered by UltimatelySocial
Twitter