Non de nom !

 

Nom est le titre très court du dernier Constance Debré, ce nom de potentats dont elle ne veut plus. On a déjà lu dans ces deux précédents ouvrages ( Play boy ici et Love me tender ici) comment elle a brusquement tout largué, famille célèbre — son grand-père a tout de même participé à l’écriture de la Constitution de la Vème — père camé jusqu’à l’os puis  alcoolo, mère mannequin morte bien plus tôt d’overdose, son mari pénible qui fera tout pour qu’elle ne voie plus leur fils, coming out qui l’envoie faire ses nuits du côté des filles, métier d’avocat qui finit par la dégoûter vu l’injustice de la justice selon la classe d’où l’on est, crâne rasé, tatouage etc.
On la retrouve pareille,totalement radicalisée, ne possédant que ce qu’elle a sur elle : sac à dos, quelques tee-shirts et un jeans, ordinateurs et autres babioles obligatoires de la vie courante, une minuscule piaule où elle a entreposé des restes mais qu’elle décide de liquider. Dans ce livre où elle ne révèle pas grand chose, elle continue de cracher violemment sur la bourgeoisie, le pouvoir, les dignitaires, les bien placés, les puissants etc. Elle dénonce la violence de classe dont la meilleure façon d’observer la rupture entre le haut et le bas est de parcourir la ligne 4 qui traverse Paris depuis les plus pauvres qu’elle trouve beaux aux plus vides, les bourges qu’elle trouve vide.
J’ai bien aimé ce passage : « Dans la famille on ne trouve pas d’ouvriers, de paysans, de domestiques, d’instituteurs, de commerçants, de petits fonctionnaires, pas non plus de taulards, de putes, de pédés, d’assassins, pas d’étrangers, d’exilés, d’émigrés. Dans la famille, il y a des ministres (de de Gaulle, Pétain, Giscard, Pompidou, Napoléon III, Louis XV, etc) des députés (de tous les régimes), des comtes, des barons, une duchesse, deux peintres célèbres, un architecte de gares, un prix de Rome, des rabbins, des pasteurs, des professeurs de médecine, des diplomates, des membres du Jockey Club, des académiciens. Aristocratie incluse, la bourgeoisie est ridicule. Ils se croient importants, ils sont ridicules. » Elle pense cela car elle veut s’en défaire, de cette hérédité.
Et plus loin : « On ne dit pas manger, on ne dit pas bon appétit, on ne dit pas bonjour tout court, si j’étais un garçon je saurais exactement quand on fait un baise-main et quand on ne le fait pas, et quand envoyer des fleurs, et on ne commente pas la bouffe, et on n’est lourd sur rien, on va toujours bien, et on est très gentil avec les domestiques, on ne dit pas monsieur au serveur, on laisse des pourboires, on n’est jamais trop habillé, on n’a jamais honte. Toutes ces manières, ces bonnes manières que je connais par cœur, je les déteste, je les déteste parce qu’elle sont en moi, incrustées bien plus que le sang, elles sont plus qu’une langue […] » A rapprocher de ce qu’exprime Annie Ernaux sur son origine de classe, la basse, incrustée aussi même si elle a fait ce qu’il fallait pour s’en échapper. Au risque d’y perdre le lien avec sa parentèle. L’inverse l’une de l’autre.
Constance Debré n’a pas renié son père, sûrement parce qu’avec sa femme il formait un tandem de dingues, de dégénérés. Elle va l’accompagner dans son agonie, sa triste décadence. Lui a perdu beaucoup avec ses addictions, son boulot de grand reporter, ses maisons, ses amis. Constance Debré  évoque aussi sa sœur, bien  dans le rang elle avec un bon mari, des bons enfants, une bonne vie. Elles ne se voient plus, elle n’a plus rien à lui dire.  L’autrice consacre un bon morceau de son livre à expliquer comme elle est contre la filiation, la famille, l’héritage, l’autorité parentale… Ça ressemble à de l’anarchie mais sans éclat.
Sinon, elle est d’un strict absolu sur la tenue de son corps : piscine tous les matins, rasage de cheveux tous les quinze jours, très peu de nourriture ou d’alcool. L’ennui total, je dirais. Mais la jouissance d’être libre de tout, de rencontrer des femmes avec qui ça matche, qu’elle quitte quand ça ne matche plus, et puis d’aller vivre dans des appartements ou des maisons de gens qui lui demandent de garder un chat ou d’arroser des plantes.
Ce livre possède un côté toxique ou venimeux qui me plaît bien car il ne manque pas de style et qu’il est sans filtre, direct et cru. Savoir où se trouve la sincérité est une autre affaire.

Nom de Constance Debré aux éditions Flammarion. 2022. 170 pages, 19 €

Texte © dominique cozette

L'amour maternel ?

Après le faux dutronesque Play Boy, voici le trompeur elvissien Love me tender où Constance se radicalise. Rien ne va plus. Son ex a carrément réussi à lui faire perdre la garde alternée de son fils mais elle se bat pour en récupérer une partie. C’est une cause désespérante, le père a monté le fils contre elle, il prétend devant les juges que sa mère est folle etc. Alors elle vire tout ce qui lui restait de sa vie où le partage était encore possible, où il avait sa chambre, ses affaires. Elle liquide tout, elle donne, pose sur le trottoir, elle ne va plus au Palais, abandonne le barreau, vit de rien : une piaule de 9m2 avec juste un lit, une planche sur tréteaux et un pola de son fils endormi. Deux jeans, deux tee-shirts, un sweat plus son cuir qu’elle porte non-stop. Tous les matins à sept heures, elle nage pour ne pas sombrer. Elle fuit les sorties d’écoles, les jardins, elle ne veut plus voir les enfants car ils sont des bombes à fragmentation comme s’ils allaient m’exploser à la gueule, cribler mon corps de petits morceaux de métal coupant.
Sinon, elle écrit et elle baise les filles. Elle est très grande, mince, bien gaulée, très repérable lesbienne avec sa coupe courte et ses tatouages, c’est un jeu de pécho n’importe où. L’amour ne l’intéresse plus, elle ne s’attache pas, déteste qu’on s’attache, quitte vite sans drame.
Un jour, elle obtient de revoir enfin son fils après des mois, une heure par quinzaine dans un lieu social sous l’œil de deux personnes. Il a des élans de tendresse, il aime sa mère, elle aime son fils. Le père, le plus souvent, annule ces rencarts, ainsi que, plus tard, les deux ou trois pauvres week-ends qu’elle a réussi à tirer. Elle revoit son fils qui de nouveau prend le parti du père, ne veut plus la voir. C’est désespérant. Lui-même a maintenant dix ans, elle a n’a que le recours de la justice qui se révèle impuissante. Alors elle prend l’impitoyable décision, puisque son fils ne donne plus signe, de l’oublier, carrément. De tirer un trait.
On voit la personne qui écrit ce récit serrer les dents. Un moment, elle a même viré la petite piaule pour squatter chez les uns ou les autres, pas d’attaches, liberté totale. Puis un peu d’argent est rentré par le livre d’avant, elle reprend un petit lieu. Elle tombe même amoureuse mais ça ne dure que quelques mois. On lui en demande trop, elle n’a rien à donner…
Toujours aussi sec, plus cru, sans complaisance et sans fioritures. Quelle drôle d’existence ! Mais l’écriture, ah, l’écriture !

Love me tender de Constance Debré, 2020 aux éditions Flammarion.

Texte © dominique cozette

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