Un beau drame de Line Papin

J’avais beaucoup aimé Les os des filles, un de ses premiers livres. Les suivants un peu moins. mais celui-ci, Une vague, m’a captivée irrémédiablement. C’est un drame de l’amour, du deuil impossible, de la survie coûte que coûte, du respect de la mort, de la construction d’une vie sur mensonge…C’est fouillé, c’est passionnant.
Ana, fille de boucher, et son mari, riche héritier d’une grosse boîte de luxe, sont en voyage de noce à Bali. L’amour est à son comble, d’autant plus qu’une petite Rita pousse dans le ventre. Le bonheur est total. Quand soudain, drame. Un tsunami se prépare. Tous deux sont sur la plage mais Auguste veut absolument remonter à l’hôtel chercher sa dernière toile, une superbe vague. Il demande à Ana de na pas bouger, mais la mer se retire tellement loin que c’est impossible. Elle va revenir et tout détruire. Lui, au dixième étage, peut être sauvé.
Tous deux, loin l’un de l’autre, sont rescapés. Ana se retrouve dans un hôpital, elle a perdu le bébé. Auguste, lui, décide de changer de vie, de disparaître totalement, de recommencer à zéro et profite de la panique générale pour embarquer dans un avion qui va l’emmener à San Francisco. Il va effacer ses traces tandis qu’Ana, et la mère d’Auguste, remuent ciel et terre pour le retrouver mort ou vif. Deuil impossible pour l’une, redépart opiniâtre pour l’autre…
Mais un jour, la toile réapparaît lors d’une vente de charité.
La deuxième partie est passionnante où mille questions se posent de part et d’autre… C’est très intelligent, très bien senti, on est sans arrêt sur les braises, en attente d’un choc.

Une vague de Line Papin, 2025 aux éditions Stock. 380 pages, 21,90 €

Texte © dominique cozette.

Les os des filles

Les Os des filles, curieux titre de ce livre de Line Papin mais on a une première réponse au début : au Vietnam, les morts sont enterrés dans une tombe à leur taille pendant trois ans puis, quand la chair est évaporée, il reste les os qu’on dispose dans un petit coffret gardé au cimetière. Puis, tout au long du livre, Line évoque nombre de sentiments ou d’événements qui se ressentent dans les os des vivants.
L’histoire qu’elle raconte est la sienne et des deux générations du dessus qui ont vécu au Vietnam : son grand-père et sa grand-mère, surnommée Ba, qui ont survécu à toutes les guerres, bombardements, famines dûes pour beaucoup à l’embargo ou simplement à la pauvreté. Puis les trois fille de Ba, dont la mère de l’écrivaine. Tout ce petit monde vivait pauvrement près des rizières, pieds nus, sans rien que ce qu’ils avaient sur le dos, mais heureux. Le grand-père de l’autrice était enseignant à la ville, à Hanoï. Il parcourait des kilomètres et des kilomètres pour retrouver sa petite famille le week-end. Les trois filles s’amusaient beaucoup ensemble. Puis un jour, leur père a pu trouver un autre poste d’enseignante pour sa femme, et alors tout ce petite monde a abandonné la vie misérable de la campagne pour une vie très médiocre, mais joyeuse aussi, dans un appartement trop petit, en ville car tout le monde vit ensemble au Vietnam.
Puis les trois filles grandissent et trouvent un mari. La deuxième, qui est la mère de Line, est victime d’un coup de foudre partagé avec un jeune Français venu ici faire des recherches sur ce pays qu’il adore. Evidemment, la famille voit ça d’un mauvais oeil, c’est une trahison car les Français sont quand même les ennemis. Mais peu à peu, devant sa gentillesse, sa bonne volonté à apprendre la langue, les cadeaux qu’il fait — c’est un expat, il gagne bien — on s’attache à lui. Comme il n’est pas habitué à vivre les uns sur les autres, à manger à même le sol, il épouse sa belle pour l’embarquer à deux blocs de la famille. Et ils vont vivre dans une résidence luxueuse, avec gardien, piscine et tennis dans un beau jardin. Les familles se fréquentent assidûment, la jeune mariée est enceinte (c’est Line qui va naître) et le papa trouve plus sûr de l’amener accoucher en France. Puis ils reviennent, tous les petits enfants jouent ensemble dans cette résidence, tout est beau et chaleureux, vert et fleuri, odorant. Le paradis.
Jusqu’au jour où la fillette, qui a aussi un petit frère, voit ses parents tout emballer dans la résidence, où elle doit dire au-revoir à sa famille vietnamienne, à ses deux autres mamans, sa nourrice et sa grand-mère en larmes avant de prendre l’avion.
Qui les emmène en Touraine, cette contrée froide et peu accueillante pour la métisse qu’elle est. Une grande maison les y attend, trois étages, plein de pièces, chacun sa chambre, un jardin. Et sa famille française. Et une école française. Et des feux rouges, des pulls à col roulé, des écharpes, un froid glaçant, de la « bouffe lourde » etc. Fini de courir nus-pieds, de grouiller sous le soleil brûlant, de conduire sans permis. Son enfance meurt à dix ans. Elle est mal, elle a mal. Elle n’en peut plus de la souffrance due à la déchirure. Ça ne s’arrange pas en grandissant. Elle devient gravement anorexique, elle frôle la mort. Mais elle survit tant bien que mal. Elle passera brillamment le bac, retournera visiter son enfance chérie au Vietnam, mais celle-ci n’existe plus, tout a changé, la famille est égaillée, les maisons ont été détruites. Il lui faut se décider à revivre, à se reconstruire, à aimer son nouveau pays, sa nouvelle ville, Paris.
Histoire très poignante sur la guerre, l’exil et la maladie subis par la famille et la jeune fille en particulier, écriture poétique très imagée, sentiments de mort et d’abandon émouvants, le tout enrichi d’un carnet central de photos personnelles et dessins sur papier glacé qui rendent encore plus attachants le récit et son héroïne.

Les os des filles de Line Papin, 2019 aux éditions Stock et au Livre de poche. 164 pages, 7,20 €. Prix des lecteurs sélection 2020.

Texte  © dominique cozette

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