Je me fais belle pour moi, dit-elle.

Je dînais avec un canon rencontré à la piscine du Sunset Marquis— où j’ai encore plaisir à descendre quand je fais affaire à LA. Le genre de gonzesse que tu penses être sur terre rien que pour le plaisir de l’homme. Tu vois ce que je veux dire. Et d’ailleurs, elle aussi, puisque son corps hurle le désir d’être la plus belle, la plus glamour, la plus sexy de toutes les filles de la piscine du Sunset.
Du haut de ses petites mules de bain, elle m’a tout de suite repéré. Forcément, j’étais le seul mâle échu sur les transats géométriquement alignés au bord de la petite bleue.
Son maillot couture, son sac assorti, son paréo, son chapeau, ses lunettes, ses accessoires, tout sentait le choix savamment exercé pour faire mouche. Sans parler de sa cascade de cheveux ultra brillants, de sa démarche calipsoïde, de sa bouche à gober tout et n’importe quoi et de son corps soigneusement standardisé selon le diktat actuel.
Alors qu’elle tentait de casser la carapace d’une langoustine sans abîmer ses ongles professionnellement manucurés — elle en était au stade 14 de la french one—, je lançais mon assaut en la complimentant sur son allure fracassante :
– Merci, mais vous savez, je ne fais rien pour ça. C’est comme ça hi hi hi !
– Comment, comme ça ?
– Hé bien, comme ça ! Quand j’ai envie de soleil,  j’attrape ce qui me tombe sous la main hi hi hi (ah oui, elle rit beaucoup aussi) et je descends aussi sec !
Nature, quoi, ajoute-t-elle en battant des faux cils longs comme un jour sans orgasme.
– Ne me dites pas que vous ne voulez pas plaire, Penny ? Pas à un vieux renard comme moi !
– Mais si, je vous assure ! Je fais ça pour moi hi hi hi. Car, je vous dis entre nous, tous ces regards d’hommes sur moi, c’est juste assez… heu… (Elle enfourne la bestiole de deux doigts dégoulinant de jus)
– Assez ?
– Gênant. Oui. Quand même. Vous ne pouvez juste pas comprendre, vous, les hommes. Ces regards de prédateurs hi hi hi.
– Penny, franchement, ce soir, vous vous êtes faite belle, non ?
Elle jette un oeil sur sa robiche décolletée comme un pont suspendu :
– Nan, je vous jure, hi hi hi, c’est pour moi. Chez moi, quand je suis toute seule, je suis comme ça aussi,  hi hi hi !
– Admettons. Mais si c’est pour vous, qu’est-ce que ça vous apporte alors d’être aussi sexy ?
– Mais je suis une femme, enfin, Bob ! Rien qu’une femme hi hi hi !
– OK, Penny. Alors imaginons que vous ne faites ça que pour vous. Demain, mettez vos vêtement sexy et, par dessus, enfilez une burqa. Par exemple. Non ? Ainsi, vous seule serez au courant de votre superbe allure. Et fini les prédateurs !
Une nouvelle langoustine dans une main, elle me regarda d’un drôle d’air : celle de la poule ayant trouvé un couteau suisse. Elle battit de la paupière, me reconsidéra et éclata d’un rire cristallin franchement violent.
– Ohhhhh ! Booooooob ! Je croyais que vous parliez sérieusement hi hi hi !
Et comme je restai coi, elle arrêta de rire.
– Sérieusement ?
– Sérieux, Penny. Faut savoir être logique !
Vu son rictus effrayé, comme si j’avouais être un serial killer, je déployai un sourire rassurant. Ça fit le job. Elle redevint la chère petite gourdasse à la langoustine (peinture du 19ème siècle) :
– Hi hi hi ! Mais je vous l’ai dit, Bob, au cas où vous ne l’auriez pas remarqué : je suis une femme ! Et puis surtout …
Elle passa les deux mains dans ses cheveux, les leva très haut et fis redescendre sa blonde cascade en bougeant sa tête comme dans les pubs de shampooing.
– Surtout quoi, my dear ?
– Quelle femme possède une burqa dans son dressing, Bob ?

Texte et illustration © dominique cozette

 

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