Georges Arnaud, écrivain assassin ou pas ?

La Serpe est un pavé, bien dense, bien dru, écrit par Philippe Jaenada, qui a reçu le prix Fémina en 2017. Il est issu d’un fait divers datant de 1941, dans un château près de Périgueux, où eut lieu un massacre, un homme âgé, sa vieille soeur et la bonne. A coups de serpe. Ils baignent dans leur sang. Le seul rescapé de la tuerie appelle à l’aide au petit matin. C’est le fils de l’homme âgé, il a 24 ans. Cet homme deviendra auteur de polars connu, notamment du Salaire de la peur dont a été tiré le film. Il s’appelle Georges Arnaud de son nom de plume, à ne pas confondre avec George-J. Arnaud, autre écrivain.
Au départ, presque tout concourt à accuser le fils dont le vrai nom est Henri Girard, un type égoïste, capricieux, dépensier, sans humanité, fêtard, sans aucun respect pour les autres, notamment son père. Il ne travaille pas la plupart du temps mais se débrouille pour soutirer de l’argent à son père et sa tante, très riches. Il le claque dans des soirées de débauche, il arrose tout le monde, offre des bijoux très coûteux à femmes et maîtresses… Il s’est marié très jeune pour enquiquiner sa famille à une fille qu’on appellerait pétasse aujourd’hui. Puis tombe amoureux d’une autre femme… Ensuite, il y a cet atroce fait divers qui le rend richissime par héritage. Bizarrement, il est innocenté par les jurés en un temps record qui exclut tout délibéré, sous l’œil d’un président du tribunal bienveillant, et aussi grâce à la plaidoirie très roublarde d’un maître du barreau, Maurine Garçon, ami intime du mort. Ce qui confiance au jury. Ensuite, il s’exile au Venezuela pour plusieurs années, exerce des tas de métiers, dilapide sa fortune, connaît la misère et les bas-fonds puis rentre à Paris avec le manuscrit du Salaire de la peur. Succès, film, début d’une vie très mondaine et d’écriture où, souvent, il dénonce nombre d’injustices. Il meurt d’une crise cardiaque en Espagne. En gros. Mais c’est bien plus romanesque que ça.
Philippe Jaenada qui avait auparavant retracé la vie de Pauline Dubuisson, coupable d’avoir tué son amant (Brigitte Bardot l’interpréta dans la Vérité), s’est emparé de l’histoire de cet homme au physique ingrat. Il a passé un temps fou à éplucher non seulement les livres mais aussi les archives juridiques, lu tous les courriers le concernant, un travail de titan mené dans les plus infimes détails. A interrogé tous ceux qui auraient pu avoir un lien même infime avec les personnages ayant croisé notre homme,
Cet ouvrage qui fourmille d’une masse de toutes petites choses, revues, ressassées, déconstruites, reconstruites, est à la fois passionnant et déroutant. Car il ne résume pas, il dit tout, tout ce qui a été négligé par l’enquête, ne serait que la personnalité du présumé coupable qui, finalement, n’était pas un si mauvais bougre, avait de gentils sentiments, et était trop intelligent pour laisser tant d’indices aussi criants derrière lui. Déroutant car il raconte aussi les états d’âme de son auteur, les digressions pas toujours très intéressantes sur sa vie privée, son fils, ses chambres d’hôtels, les bars et restaurants de Périgueux, ce qu’il mange et boit. Ce qui rallonge considérablement la sauce qui peut finir, par instant, en indigestion. D’autant plus qu’il y a très peu de chapitres et de paragraphes, que tout s’enchaîne en lignes serrées sans possibilités de quelque pause bien méritée.
Donc beaucoup de pour, et du contre. J’avoue que j’ai sauté des passages car l’auteur nous inflige souvent des prises de tête sur des détails infimes qu’il semble trouver de prime importance. En tout cas, c’est un super boulot qui conviendra aux maniaques, aux minutieux, aux sodomites drosophiliens et autres tatillons amateurs de la vérité vraie.

La Serpe de Philippe Jaenada. 2017 aux éditions Julliard. 646 pages. Editions Points 8,90 €…

Texte © dominique cozette

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