Delphine de Vigan nous mène en (beau) bateau

Le titre D’après une histoire vraie est le début de l’arnaque — une arnaque consentie et très plaisante — car en nous racontant brillamment sa prise en otage par une amie, c’est nous, la lectrice et le lecteur, qu’elle prend en otage. Car tout semble vrai, elle utilise son nom, sa vie, son compagnon François Busnel, évoque son métier d’écrivain qui est le motif central du livre, quelques écrivains réels, son succès en librairie  Rien ne s’oppose à la nuit qui l’a complètement asséchée et lui vaut d’infâmes lettres anonymes, menaçantes, lui reprochant d’avoir dévoilé les horreurs de sa famille.
Dans une soirée, elle rencontre L., une femme qui lui plaît bien, même âge, même profil, beaucoup de goûts communs. Delphine est dans une phase d’impossibilité d’écrire, tétanisée par l’écran blanc de l’ordinateur. L., qui est nègre pour de grandes personnalités, tente de la ramener à l’écriture, non d’une fiction, mais d’un livre encore plus intime. Peu à peu, cette femme courtoise, ouverte, douce, qui sait s’y prendre avec le blues de l’écrivain, entre dans l’intimité de Delphine. Elle se fait aussi inviter à vivre avec elle quelques temps mais refuse de rencontrer ses grands enfants partis faire leurs études ailleurs, ou François ou d’autres amis. Plus ça va, moins ça va, Delphine est atteinte d’une grave dépression, ne peut plus ouvrir son ordinateur, son courrier, sa porte. C’est L. qui s’occupe de tout, ses mails, ses contacts professionnels (mais aussi personnels), ses courses, elle va même jusqu’à la remplacer pour une rencontre dans un lycée impossible à annuler. L. s’est emparée de tous les outils de Delphine.
Mais l’écrivaine semble parfois se poser des questions. Jusqu’à entraîner une brouille. Mais L. revient le jour où Delphine se casse le pied et ne peut plus rien faire seule. François tourne ses reportages littéraires aux Etats-Unis et ses amies sont en province. Elles décident d’aller dans la maison de campagne de François, seules toutes les deux pour travailler. L. a un livre top secret à écrire et alors, Delphine a une idée. Une bonne idée ?
En tout cas le suspense est mené jusqu’au bout. C’est une écriture classique et efficace, avec suffisamment de détails personnels (ou pas, on ne sait pas) pour qu’on y croie. C’est aussi un livre sur la difficulté d’écrire autre chose quand on a l’impression d’avoir enfin écrit LE livre, dans la douleur et la transgression et qu’on sait qu’on n’a rien de plus fort à dire. Jusqu’au bout, Delphine de Vigan sait nous tenir en haleine, chapeau ! Elle cite volontiers Misery de Stephen King où, là aussi, un écrivain est pris en otage par une déséquilibrée hyper dangereuse.
Ce livre a obtenu le prix Renaudot.

D’après une histoire vraie de Delphine le Vigan aux éditions JCLattès. 2015. 480 pages. 20€.

Texte © dominique cozette

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