La formidable fille parfaite

Ce roman de Nathalie Azoulai, la Fille parfaite, est brillantissime, impressionnant, d’une belle érudition et d’une langue lumineuse. Ce n’est pas qu’une histoire d’amitié fracassante entre deux filles hyper douées, c’est aussi celle d’un pouvoir mal distribué, qui donne la science aux hommes et les lettres aux femmes. Le pouvoir, plus que jamais, sera la science, la technologie, c’est ça l’avenir et Adèle, la fille parfaite, le prône, le sait, elle qui fut « dressée » par un père exigeant qu’elle adore, pour devenir la meilleure matheuse du monde.
Rachel, la narratrice, est issue d’une famille de littéraires, profs, avocats, historiens et dévoreurs de livres, ne parlant que de leurs lectures, les auteurs, les philosophes, tout ce qui manie les mots. Elle ne peut pas se destiner à autre chose, même si elle hésite à rejoindre son amie car elle est douée aussi pour les sciences.
Toutes les deux sont très blondes, ont de beaux cheveux longs, ce sont comme des jumelles, ce qu’elles désirent le plus former en avançant : à elles deux, avoir réponse à tout puisqu’elles couvriront les deux pans du savoir. C’est une sorte de pacte qu’elles signent tacitement lorsqu’elles partent à vingt ans visiter les fjords. Cette amitié incommensurable qui se suffit à elle-même — aucune autre fille ne peut devenir une telle complice, d’ailleurs, elles sont bien plus que des filles — subira des pauses dont une de dix ans, car il faut pouvoir recharger les batteries de leur entente et se rendre indépendante comme savent si bien le faire les hommes à forte carrière qui ne s’encombrent pas d’autres personnes. Adèle, c’est vrai, s’est mariée avec un homme bien, elle a eu un garçon mais elle le confie fréquemment à une voisine, à son père ou à Rachel pour pouvoir respirer.
Le livre commence par la mort d’Adèle. Elle s’est pendue, en l’absence de son mari et de son fils qui sont en vacances dans les fjords, elle a quarante-six ans, tout va bien, elle a des projets de conférences dans le monde entier, elle est reconnue internationalement, elle n’a rien laissé pour justifier son geste. Incompréhensible. Alors Rachel va tenter de comprendre, va revenir sur ce qui constitue son amie depuis qu’elle la connaît, leurs discussions, elle va se remémorer des épisodes qui n’expliquent pas tout mais quelques petits indices vont lui faire entrevoir le pourquoi de sa mort.
Ce qui m’a passionnée à la lecture de ce livre, c’est les passes d’armes entre les deux entités en compèt, les littéraires et les scientifiques, leurs arguments pour les hisser à la première place en terme d’utilité au monde, prétendre à la supériorité de l’abstrait sur l’artistique etc. J’y apprends des choses auxquelles je n’ai jamais pensé : la cruauté du monde des mathématiques avec des compétitions sans merci, la terreur que quelqu’un découvre avant vous, ou que quelqu’un fasse exploser le théorème que vous avec mis des années à construire. C’est une lutte sans fin, il y a toujours à creuser, à chercher, à trouver, à démontrer. Et c’est épuisant.
Donc, oui, passionnant.

la Fille parfaite, de Nathalie Azoulai, 2022 chez P.O.L. 316 pages, 20€.

Texte © dominique cozette

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