Mais qu'est-ce qu'un homme heureux ?

C’est la question que se pose Dario Jaramillo Agudelo dans Mécanique d’un homme heureux. Ce qui m’a d’abord attirée dans ce livre, c’est son physique : une première et une quatrième de couv à l’esthétique plaisante et très soignée. Puis le papier : il est épais mais léger, facile à tenir au lit et peu pesant au sac. Et le côté inconnu de l’édition : Yovana. Elle se trouve dans l’Hérault et se consacre aux livres étrangers. Sur la couverture,  comme une tache noire, une petite carte du pays, et en quatrième, on voit qu’il s’agit de la Colombie et que Bogota, en son centre, est indiquée. La typo est également très importante. Celle de l’intérieur, fine et racée, est du FreightSans Boook droite et italique tandis que les textes en couverture sont en Akkura mono. Ce qui relève encore du confort de lecture, c’est que les paragraphes sont composés de telle façon qu’ils sont rarement coupés d’une page à l’autre. Et les chapitres sont courts, ce qui permet d’interrompre la lecture de façon naturelle.
Venons-en à la forme du roman (je parle comme l’auteur). C’est une littérature très maîtrisée car le narrateur est très attaché au fonctionnement des mots entre eux, à leur précision, à leur matérialisme : pas de flou, pas d’approximation, pas de blabla. Voici pourquoi : notre héros est un homme passionné de mécanismes, de machines, de machinerie. Il est ingénieur, il a obtenu son diplôme aux Etats-Unis, puis il est revenu en Colombie pour monter une grosse usine de mécanique. Il adore faire des plans, tout calculer, tout prévoir, en temps et en heure, en dépenses, en efficacité. Il dort dans l’usine tellement il veut être à pied d’œuvre tout le temps, pour ne pas perdre une minute. Mais il est mal tombé : en Colombie, rien n’est net. On y vole les camions de pièces détachées puis on réclame de l’argent pour le récupérer, on n’y obtient les autorisations ou agréments qu’en versant des pots de vins et tout est à l’avenant.
C’est dans cette usine qu’il va être séduit par sa cheffe, dont il ne mesurait absolument pas l’attrait qu’il avait sur elle. Il tombe des nues mais laisse les choses arriver : elle est la petite-fille de l’un des fondateurs, séduisante, autoritaire en douceur, perfectionniste, bonne en tout, parfaite. Seul problème : elle n’a pas encore d’enfant à 35 balais. Lui en a 24, il trouve finalement normal qu’après avoir obtenu son diplôme puis trouvé un travail qui le passionne, il connaisse une suite logique à son cursus qui s’appelle : fonder une famille. Donc tout se déroule au petit poil.
Le grain qui bloque la machine de sa vie, c’est quand son seul ami lui dit, lors du mariage de sa fille qui part s’installer loin, comme son fils d’ailleurs : alors, maintenant, avec Regina, vous n’allez être que tous les deux ! Cette phrase le fait se réveiller de longues années de torpeur où il ne se posait aucune question. Sa femme avait démissionné de l’entreprise pour s’occuper de la maison, des enfants, de la vie mondaine liée à leur réussite. Il ne savait pas s’il était heureux ou pas car tout avançait.
Mais soudain, à cet instant précis, il s’aperçoit qu’il a été manipulé depuis le début par son épouse qui en a fait un clone à son goût à elle et que le Tomas qu’il était, a disparu sans laisser de trace. Alors que faire pour arrêter ça ? Divorcer ? Impossible, sa vie serait foutue. Se suicider ? Pareil. La seule issue, c’est qua sa femme ne soit plus là. Et comment ça peut se faire ? Il faut qu’elle meure. Comment fait-il faire pour ne pas se faire prendre et vivre enfin heureux le reste de sa vie ? C’est toute l’histoire de ce livre, excellent et très original.

Mécanique d’un homme heureux de Dario Jaramillo Agudelo. Mai 2010. 2017 aux Editions Yovana. Traduit par Laurence Holvoet. 368 pages, 20 €. 7,99 € en numérique. Possibilité de feuilleter quelques pages sur le site de l’édition ici.

Texte © dominique cozette

Social media & sharing icons powered by UltimatelySocial
Twitter