Quel livre, mais quel livre !

Ce livre Article 353 du code pénal est scotchant. Eblouissant. Hallucinant. Spectaculaire. Pourtant, c’est un huis-clos, la confession d’un homme qui vient d’en tuer un autre, dans le bureau d’un petit juge. Sans effets spéciaux. mais avec les effets de langage formidablement utilisés par Tanguy Viel. De l’orfèvrerie. « Mon personnage se fait flouer, juste parce qu’il ne maîtrise pas la rhétorique. Puis il y a le processus de rumination. »(1)
Dès le début, on sait cela. Que le crime a lieu. Que l’homme en jette un autre au large, qu’il sait qu’il va se noyer, qu’il n’en tire rien de plus. Il fallait juste que cet homme disparaisse. Puis il va amarrer le bateau du noyé et quand la police vient le chercher, il l’attendait. Ensuite, la grande, l’énorme déferlante nous arrive dessus : pourquoi j’ai fait ça. Car cet homme, floué profond par le promoteur véreux, a mis du temps à comprendre comment tout ça s’est enclenché. Il a fallu que le prétexte se construise dans sa tête pour qu’il en arrive là. Car un mec, un pauvre mec comme lui, gentil et faible, est incapable de violence. Il en a fallu des petits éléments de honte, d’humiliation, de regrets, de colère. Il a fallu qu’elle monte, cette « exaspération de l’enrichissement complètement éhonté des puissants. » Car comme l’auteur l’analyse, « on a tous régulièrement des petites pulsions de haine lorsqu’on entend qu’un mec part avec son parachute doré. On a tous envie un jour où l’autre d’en mettre un à l’eau. »(1)  Il a fallu qu’il n’en puisse plus de cet immense gâchis, la démolition d’un bien public, le saccage de ce petit coin de la rade de Brest, énorme béance à vif, gadouilleuse, là où un petit eden ne demandait qu’à vivre, sans aucun espoir d’arrangement.
Le juge l’écoute, et une fois, il se met en colère contre l’absurdité de ce drame. Mais il n’a pas encore tout entendu. Le pauvre narrateur ne cherche absolument pas à se justifier. Juste à expliquer. Le miracle, c’est comment il arrive à sortir les mots justes, les motifs profonds, les sentiments gênants qui ont abouti à cet acte. C’est impressionnant de finesse, de frappage au coin du bon sens, de logique. Il reconstitue la démarche commerciale et insinuante du promoteur forçant les acheteurs sans en avoir l’air, les abusant comme si c’était eux-mêmes qui s’offraient en sacrifice alors qu’il n’avait rien demandé. Il dissèque le chemin de la pensée et de la raison, très fortes toutes les deux, pour montrer comment elles s’effacent d’un seul coup pour accepter une chose inacceptable. Pour finir, l’article 353 du code pénal emballe l’affaire d’une façon inattendue et incroyable quoique crédible.
Ce livre mince est un petit chef d’œuvre que je vais relire de ce pas. Ne le loupez pas !

(1) Citations tirées d’une interview de Paris Match.

Article 353 du code pénal de Tanguy Viel. 2017 aux Editions de Minuit. 174 pages. 14,50 €.

Texte © dominique cozette

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