Voilà un artiste tentaculaire qui envahit l’espace des galeries comme celui de la pensée. Ses œuvres sont multiples, fragmentées ou floues, simples d’accès ou difficiles à appréhender mais elles relèvent toutes d’un questionnement sur la temporalité, la topographie, les liens avec la politique, les sciences, la réalité historique.
Ça a l’air compliqué, ça peut l’être. Pour certaines parties du parcours. Pour la partie ci-dessous, de toute beauté et d’une grande émotion, c’est simple et concret.
Elle s’intitule Girls of Chilwell. Ce sont des sculptures réalisées à partir d’archives photos de la première guerre mondiale. Les ouvrières représentées, immaculées, sont la réplique des « munitionnettes », travaillant à remplir des obus de nitroglycérine. Drôle de boulot. D’autant que ce matériau occasionnait divers effets secondaires comme le jaunissement des parties du corps y exposées — ce qui leur valait le surnom délicat de canary girls — et une puissante vasodilatation. Ces jeunes femmes étaient donc shootées à longueur de journées…
Le CRAC de Sète recèle un grand nombre de travaux de cet artiste mais l’un d’eux a particulièrement retenu mon attention : DAYS I see what I saw and what I will see. Il a été réalisé en 2011 à l’occasion d’une Biennale dans les Emirats Arabes. C’est un documentaire qui montre la vie des précaires de Dubaï de façon intrigante : il s’agit d’un travelling infini dans un camp de travail qui renseigne, au hasard, sur la vie des émigrés durant les pauses. Les 100 m. de rail sont démontés puis remontés au fur et à mesure de l’avance de la caméra qui capte ainsi ce qui se présente devant elle, au hasard, de jour comme de nuit. Une sorte de fascination nous empêche de quitter le film car on a envie de savoir ce qui va se passer après le tournant. L’autre grande idée est d’avoir monté un recto/verso du film et de les présenter sur un écran recto/verso, un côté nuit et un côté jour. On peut passer de l’un à l’autre puisque le film est sans fin.
D’autres installations provoquent la curiosité, l’étonnement ou une fausse indifférence puisqu’une expérience est en jeu. Je vais bien sûr y retourner pour mieux les explorer.
Melik Ohanian, Stuttering, au CRAC de Sète, 26 quai aspirant Herber, jusqu’au 21 septembre.