L'émouvante Sylvie Blocher, artiste des gens

Voici une artiste formidable dont Le Monde choisit de nous parler seulement à la fin de l’expo, c’est dingue. Donc c’est jusqu’à samedi si vous êtes près de Sète : elle est for-mi-da-ble. Beaucoup à lire, beaucoup à voir. Elle se définit, sur son site (voir ici) comme vidéaste. Les vidéos sont pour la plupart des personnes de tous pays filmées plein pot, parfois dédoublées en split screen, parfois assorties à un fond pantone de différentes couleurs de peau s’ils parlent de ça.
Mais il y a aussi beaucoup à lire, ce qu’elle a capté des gens et qu’elle a retranscrit d’une belle calligraphie en capitales, sur un fond de peinture verte d’ardoise. Je n’ai pris que peu de photos et l’article qui suit est celui du Monde d’hier soir alors que l’expo — dans ce superbe et immense lieu qu’est le CRAC de Sète — tire à sa toute fin…

Sur deux murs, pleins de unes de Libé repeintes en vert ardoise, avec juste un détail ou un mot laissé apparent, puis un commentaire de l’artiste sur l’actualité ou une réaction.

Article du Monde : Tous les artistes n’ont pas cette grâce, de toucher le public en son âme et conscience. Sylvie Blocher est de ceux-là. A fleur de peau, au sens noble : poreuse au monde, attentive à toutes les marges, une plasticienne intranquille, qui, depuis plus de trente ans, travaille sans relâche, d’installations vidéo en expériences urbaines. Pourtant, la France l’a négligée, quand les étrangers la réclament. Trop sensible, trop engagée dans le champ social ? A observer les visiteurs bouleversés de son exposition au centre d’art contemporain de Sète, on comprend ce à côté de quoi l’Hexagone est passé. Héritière du black power d’Angela Davis comme d’Edouard Glissant et de sa théorie du Tout-Monde, cette influente professeure aux Beaux-arts de Cergy fonce tête baissée sur tous les potentats : machistes du modernisme ou mafia chinoise de Toronto, rien ne lui fait peur. Sa caméra pour toute arme. Guerrière ? « On me l’a assez reproché », s’amuse-t-elle, le regard brûlant de curiosité autant que d’anxiété, quand nous la rencontrons dans son atelier de Saint-Denis.

« Avez-vous une idée pour changer le monde ? » Il y a un an, Sylvie Blocher a publié cette petite annonce dans un journal du Luxembourg, pour une exposition au Mudam, musée d’art contemporain luxembourgeois. « Sur cent personnes, à peine cinq avaient de bonnes idées, les autres étaient dans la plainte et le désespoir », constate-t-elle alors.

Qu’à cela ne tienne, elle invite ces anonymes, comme elle le fait pour chaque exposition. Dans le hall du musée, elle a construit un mécanisme d’acrobate, filins et harnais, qui les propulse à douze mètres du sol. Elle les filme. Leurs envolées ouvrent l’exposition sétoise, sur quatre écrans. « Ils étaient dans un moment très particulier entre eux et leur corps, raconte-t-elle. Certains étaient dans une joie inouïe, d’autres hurlaient ou lâchaient prise.Une jeune femme, rwandaise, s’est envolée dans un cri de douleur, revivant son trauma. Elle m’a confié après : “Avec vous, j’ai lâché les morts”. » Des mots qui remuent cette enfant des années 1950, dont tout le travail consiste à comprendre « comment la modernité, qui a produit tant de choses magnifiques, a pu s’effondrer avec les exterminations de la seconde guerre mondiale ». Depuis son premier projet, consacré à Nuremberg, elle s’efforce de faire en sorte qu’à travers ses films, « l’histoire nous affecte et nous déplace, qu’elle ait une résonance intime et complexe, afin que jamais elle ne se reproduise ».

Utopies défaites

Cela la conduit auprès de tous les oubliés. Par exemple, ces adolescents des favelas de Rio, qu’elle fait défiler : « Je leur ai juste demandé de regarder ce vide effrayant qu’est la caméra, en pensant à ce qu’ils aiment ou haïssent le plus au monde. » Frêles madones ou musculeux voyous, ils sont à Sète en majesté, stupéfiants de fierté. « Ils nous disent : “je suis là” ». Claque, également, la série de portraits vidéo consacrés à « ces discours qui nous ont promis le bonheur, et ont échoué », d’Obama avant son élection aux utopies d’ultragauche… Une slameuse russe clame Le Capital de Marx ; à ses côtés, une cantatrice chante la convention de Genève, qui revendique un droit universel des réfugiés. Une façon, selon l’artiste, « de délivrer le discours politique afin que, d’un coup, on l’entende ».

« Donner aux gens une autre place que celle qu’on leur a allouée, les emmener ailleurs. » Elle n’a pas d’autre ambition. Qu’elle déconstruise le discours de l’identité américaine en le faisant revisiter par Indiens, Blacks et Chicanos ou qu’elle imagine, avec son association Campement urbain, le plan d’une ville australienne à partir des désirs de ses habitants, sa méthode est toujours la même, « capter la parole, jusqu’à ce que quelque chose se passe ». C’est le secret de cette exposition à Sète, exceptionnellement populaire. (voir photo ci-dessous)

Pendant un mois, Sylvie Blocher a accueilli les habitants, leur demandant « d’offrir quelque chose au centre d’art ». Un homme est venu des Cévennes pour lui confier « l’histoire de cette Marianne qui ne [l]’aimera jamais », et avouer « aujourd’hui, vous êtes Marianne, je vous offre ma présence ». Un pêcheur se souvient des trois baisers de sa mère quand il sortait du port, un ancien évoque la guerre d’Espagne. Elle accepte tous les récits, fous ou anodins. Puis retranscrit sur les murs, à la main, ces confidences. « Comme des fictions, qui nous permettent de regarder le monde différemment. » Un quidam est venu avec ces mots, empruntés à Nietzsche : « Il faut du chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse. » On ne saurait mieux la définir.

« S’inventer autrement – Sylvie Blocher », Centre régional d’art contemporain, 26, quai Aspirant Herber, Sète. Tél. : 04-67-74-94-37. Du mercredi au lundi de 12 h 30 à 19 heures, le week-end de 14 heures à 19 heures. Jusqu’au 31 janvier. crac.languedocroussillon.fr

Nina Childress, artiste vibrante

Je ne connaissais pas cette ex-punkette née en 61 à Pasadena, Californie, vivant actuellement à Paris, passionnée de clichés des années 50 qui représentent son fond de commerce, ayant beaucoup exposé partout. Après avoir étudié aux Arts Déco, elle fit partie du groupe punk Lucrate Milk puis du collectif des Frères Ripoulin (dont les deux principaux sont Pierre Huyghes et Claude Closky) connus pour leur appartenance à la figuration libre et aux graffiti. Et se mit à peindre dans ces mêmes années.

J’ai peu de doc sur elle mais ce que j’en ai appris et vu, c’est sa fascination pour les années 50/60 dont elle s’inspire depuis le début pour ses peintures et ses installations. Au CRAC de Sète sont accrochées des séries de tableaux copiés sur les Nudies américains, films sur les nudistes dans des situations de la vie courante en société comme jouer au ballon, prendre le thé. Ces tableaux, et deux très grands tirages de même facture, sont étonnants car on dirait qu’ils ont été conçus pour être vus avec des lunettes 3D, du fait des contours verts ou rouges des personnages. Une intense sensation de vibrations.

C’est entre l’impressionnisme et l’hyperréalisme, comme des photos bougées, c’est d’ailleurs réalisé d’après des captures d’écran, format écran. Le remarquable aussi est l’élégance des scènes car, malgré leur nudité, les personnages se tiennent bien, sont bien apprêtés, ont de bonnes manières. Les hippies n’ont pas encore fait leur apparition.

On peut voir des scènes de danse, d’immenses rideaux peints habillant les hauts murs du CRAC.

Il faut savoir aussi que Nina Childress a ses marottes, elle a peint beaucoup de Romy Schneider en Sissi, d’images de romans-photos et de scènes d’opéra. Pour se rendre compte de son foisonnement et de son éclectisme (créations criardes et géométriques, petits travaux très kitsch et pas forcément très jolis selon moi), il faut aller sur son site ici.

Cette exposition comporte trois autres belles artistes, Sylvie Fanchon avec « chair », Enna Chaton et ses impressionnantes photos et la mystérieuse Mirka Lugosi. A voir jusqu’en mai.

Texte © dominique cozette

Melik Ohanian experience

Voilà un artiste tentaculaire qui envahit l’espace des galeries comme celui de la pensée. Ses œuvres sont multiples, fragmentées ou floues, simples d’accès ou difficiles à appréhender mais elles relèvent toutes d’un questionnement sur la temporalité, la topographie, les liens avec la politique, les sciences, la réalité historique.
Ça a l’air compliqué, ça peut l’être. Pour certaines parties du parcours. Pour la partie ci-dessous, de toute beauté et d’une grande émotion, c’est simple et concret.


Elle s’intitule Girls of Chilwell. Ce sont des sculptures réalisées à partir d’archives photos de la première guerre mondiale. Les ouvrières représentées, immaculées, sont la réplique des « munitionnettes », travaillant à remplir des obus de nitroglycérine. Drôle de boulot. D’autant que ce matériau occasionnait divers effets secondaires comme le jaunissement des parties du corps y exposées — ce qui leur valait le surnom délicat de canary girls — et une puissante  vasodilatation. Ces jeunes femmes étaient donc shootées à longueur de journées…

 


Le CRAC de Sète recèle un grand nombre de travaux de cet artiste mais l’un d’eux a particulièrement retenu mon attention :  DAYS I see what I saw and what I will see. Il a été réalisé en 2011 à l’occasion d’une Biennale dans les Emirats Arabes. C’est un documentaire qui montre la vie des précaires de Dubaï de façon intrigante : il s’agit d’un travelling infini dans un camp de travail qui renseigne, au hasard, sur la vie des émigrés durant les pauses. Les 100 m. de rail sont démontés puis remontés au fur et à mesure de l’avance de la caméra qui capte ainsi ce qui se présente devant elle, au hasard, de jour comme de nuit. Une sorte de fascination nous empêche de quitter le film car on a envie de savoir ce qui va se passer après le tournant. L’autre grande idée est d’avoir monté un recto/verso du film et de les présenter sur un écran recto/verso, un côté nuit et un côté jour. On peut passer de l’un à l’autre puisque le film est sans fin.
D’autres installations provoquent la curiosité, l’étonnement ou une fausse indifférence puisqu’une expérience est en jeu. Je vais bien sûr y retourner pour mieux les explorer.

Melik Ohanian, Stuttering, au CRAC de Sète, 26 quai aspirant Herber, jusqu’au 21 septembre.

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