Je préfère ne pas

Je préfère ne pas n’est pas mon actuel état d’âme mais le titre du nouvel opus d’Alain Schiffres. I would prefer not to en exergue, sous-titré Bartleby. Sinon, il est écrit aussi que l’auteur est adepte de l’évitisme, sorte de paresse ou de proscrastinationnisme, si on veut. En réalité, railler l’époque actuelle en tâchant de ne pas faire avec. Schiffres nous amuse tout au long du livre de faits de société plus ou moins ridicules, d’inventions technologiques idiotes, de tics sociétaux délétères. On ne sait pas, du coup si c’était mieux avant, mais je m’éclate en lisant ces chapitres sans titres (ça manque) où, par exemple, il imagine comment, derrière le message téléphonique de son labo d’analyses nous assurant que tout est mis en œuvre pour rendre notre attente agréable, tout le monde arrête tout pour récurer le carrelage, le patron va d’un bureau à l’autre, enjoignant le personnel de rester à notre disposition car nous sommes un vieux client, il faut remettre la musique de Morricone, et puis non, plutôt les horaires du labo, et la secrétaire  se transforme en Charlize Théron pour nous offrir une voix humaine, et pendant ce temps, les patients saignent, les tubes à essais sont renversés tellement l’urgence est forte, mais vous raccrochez quand même, au bout de vingt minutes. Deux hommes viennent alors sonner pour s’excuser de leur manque de personnel actuel etc…
Schiffres évoque aussi le temps qu’il nous aura fallu pour inventer la valise à roulettes mais qu’il faudra encore pour qu’elle devienne silencieuse. La manie des Américains, dans les films du moins, à baiser debout contre un mur ou une porte. La manie des interviewés récurrents de produire des citations,  de Montaigne, Héraclite, Swift… à chaque question, tac, une citation. Le temps qui passe qui vite VS les minutes de silence qu’on ressent comme interminables. La triste disparition du Quid en 2005 avec l’apparition du numérique sauf que le Quid ne tombait jamais en panne. La touche Sixième sens du four encastrable qui se mêle de tout concernant la façon de cuisiner, rendant insupportable cette occupation.
Le livre commence ainsi : « Je ne vous dirai pas l’âge que j’ai, mais mon dernier gâteau d’anniversaire ressemblait à une retraite aux flambeaux filmée par Leni Riefenstahl ». Avouez qu’on ne peut que prendre du plaisir à picorer cet ouvrage dont la promesse du début est tenue jusqu’à la fin où, avisant la pancarte informant que la pelouse est en repos hibernal (sic), Schiffres se prend à rêver d »être gazon car, si vous avez bien suivi, ce monsieur, ex journaliste, sociologue toujours impertinent, a pour position préférée celle du dormeur du val. Bref un régal.

Je préfère ne pas d’Alain Schiffres, 2021 aux éditions du Dilettante. 128 pages, 15 €.

Texte © dominique cozette

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