Méfiez-vous des hommes gentils

C’est marrant, ils sont toujours gentils, les tueurs de masse. Toujours, toujours.
Je ne parle pas des sbires,  tueurs à gages, ceux qui sont payés pour exécuter une commande précise. Ceux-là, photographiés de face et profil avec un numéro sur le buste, ont l’air singulièrement patibulaire. Mais l’éclairage y est pour quelque chose.
Je ne parle pas non plus des officiels, ceux qui sont commandités par divers gouvernements/administrations pour foutre en l’air la vie difficile de quidams ordinaires  au boulot ou sans papiers ou sans poids social. Eux ont l’allure respectable de messieurs se déplaçant sur des banquettes arrière et portant une rosette.
Je ne parle pas encore de ceux qui portent un uniforme et qui marchent au pas. Ceux-là nous défendent, ou en défendent d’autres, ce sont des gens bien, comme vous et moi, des fils de patrie, des défenseurs de droit de l’homme.
Je parle encore moins de ceux qui arborent des ceintures d’explosifs, qui se réclament d’un prophète, ou de ceux qui massacrent les ennemis de causes légitimes, à l’aide de machettes. Tous ceux-là ont un faciès.
Enfin, je ne parle pas non plus d’honorables affairistes, industriels, technocrates qui, pour le bien d’une belle entreprise adoubée par les instances en place, n’hésitent pas à sacrifier quelques vies humaines. Rien d’illégal là-dedans.
Pour finir, je sais, je sais, mais ça tire à sa fin, je parle sûrement de tous ces potentats indispensables à la bonne marche de l’univers, ceux qui fabriquent des armes, ceux qui font de la recherche pour les rendre toujours plus efficaces ou cruelles, ceux qui les vendent, ceux qui les achètent.
Non, je parle de mon voisin, ton voisin, son voisin. Celui qui est si gentil, si discret, si serviable. Celui qui paie bien son loyer, qui range bien sa voiture, qui n’arrive pas en retard au travail. Celui qui n’est pas très causant mais ne rechigne pas à dire bonjour ou au revoir,  à ralentir pour laisser traverser une vieille dame, à freiner pour ne pas écraser un pigeon. Je parle de cet homme dont on ne parle pas car il n’y a rien à en dire, il ne fait jamais d’histoires, ah ! si tout le monde pouvait être comme lui ! Je parle de ce mec qui fomente sa révolution interne, qui crève d’être un obscur, qui ne baise pas celle qu’il voudrait, qui vit petit, qui sait qu’un jour il brûlera tous ces cons, il t’arrosera tout ça d’un tir nourri, il fera sauter ces veaux, il les noiera dans un bain de sang. Un jour, il fera la une de toute la presse, l’ouverture de tous les journaux TV. On parlera de lui encore pendant des siècles.
Des hommes si gentils…  il y en a un à côté de chez moi : il protège les oiseaux, il regarde les étoiles la nuit avec un télescope, il me sourit quand on se croise. Lui ne me tuera pas car, si j’ai bien compris, ces hommes-là ne tuent jamais les voisins. Ouf !

Texte et dessin © dominique cozette

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