Brève rencontre avec Ardisson

Je raconte dans mon dernier opus ce narrable entretien avec Thierry Ardisson qui n’était alors qu’un simple pubeux d’une belle agence. En 77 peut-être.

« J’avais essayé de me faire engager dans une belle enseigne du nom de TBWA, rue du Pont-Neuf, suite à une petite annonce dans Stratégies. J’essayais de rencontrer la personne qui recherchait rédacteur/trice pour travailler sur une marque de distribution. J’ai téléphoné des dizaines de fois, je connaissais le numéro par cœur. Enfin, je suis tombée sur la personne. L’agence avait un look sympa, très moderne, très atelier de Manhattan, enfin je ne sais plus bien mais ça faisait branché. On m’indiqua où me rendre, c’était en haut. Le type s’appelait Thierry Ardisson, son bureau était petit, mansardé, lumineux. L’homme était brun, ni sympa ni pas sympa, pas très chaleureux dirais-je, brun, vêtu de noir*. Il me fit asseoir et commença à me parler de lui. Il allait bientôt partir dans une île lointaine, je ne me souviens plus laquelle, où il pourrait écrire son livre. Car l’écriture lui tenait beaucoup à cœur. Il se demandait comment il allait faire avec sa compagne, si elle allait le suivre où non, car il ne détestait pas aller dans des clubs échangistes sauf qu’elle était réticente. Alors, quand un couple ne partage pas les mêmes plaisirs, est-ce que ça vaut la peine de rester ensemble ? Il m’interrogeait du regard, sans me voir, je suppose qu’il avait déjà fait le tour de ma personnalité sexuelle et constaté qu’il n’y avait rien à tirer de moi. Je n’étais pas choquée, j’avais presque trente ans, mais ça me sciait qu’un mec auprès duquel j’espérais trouver du boulot me parle de son cul. Je devais avoir l’air neutre, lui-même avait le même ton que s’il évoquait le ciel gris visible de son Velux. Nous n’étions clairement pas sur la même longueur d’onde. J’étais débutante, je n’avais pas de dossier et, plutôt que de me le reprocher, Ardisson décréta que je n’étais pas faite pour le poste. Il s’agissait d’écrire des accroches, promos, textes de catalogue ou affiches pour Prisunic et il me dit que ça m’ennuierait, ce genre de travail. Il avait tort, c’était une marque en plein essor, avec une image rajeunie, et assez amusante à fréquenter. Mais Ardisson, décisionnaire, avait envie de quelqu’un de plus déluré, ai-je pensé. En tout cas, je lui souhaitais bonne chance pour son livre et ses démêlés conjugaux avant de quitter son petit bureau. »

*si ça se trouve, il n’était pas encore en noir…

Texte © dominique cozette in La fois où j’ai failli tuer la reine des yéyés.

J'enlève le masque…

Un livre qui va en agacer plus d’un/e comme toute histoire de réussite chanceuse.
Voilà un p’tit gars, Pierrot, Pierre Berville en vrai, il ne sait pas trop quoi faire, c’est pas qu’il s’ennuie, mais bon, qu’est-ce que je peux faire ? Heureusement pour lui, son grand frère, Paul, est dans la pub et y fait son trou. Alors, plutôt que d’aller à l’armée, Pierre se fait porter pâle et commence sa belle histoire par un stage croquignolet. Puis enchaîne, grâce au frangin, les places dans les agences de pub qui commencent à faire parler d’elles. Et alors, sans qu’il ait rien demandé, il gravit sans peine les échelons qui l’emmène aux sommets de la gloire. Parce qu’il deviendra très vite une super pointure de la création.
Certes, il a du talent, du répondant et de la gouaille. Personnellement, je ne l’ai pas connu mais beaucoup croisé et j’ai beaucoup lu son nom dans la rubrique « qui a fait quoi » dans Stratégies. Il l’écrit lui-même : ce n’est que de la chance. Couronnées de nombreux prix et lauriers, ses campagnes sont encore dans les mémoires, ne serait-ce que celle de Myriam qui enlève le haut, faite en free-lance, sport qu’il a beaucoup pratiqué et qui lui a rapporté beaucoup d’argent. Une chance énorme, encore : il trouve ses (très bonnes) idées très vite et très facilement. Oh, que c’est agaçant !
Il a donc connu la meilleure période de la pub, celle des créatifs qui arrivent à l’heure qu’ils veulent, qui bossent comme ils veulent, qui causent comme ils veulent. On les protège, on les couve, on les admire. Du moins ceux qui ont du talent. En plus, on les paie bien. En plus, ils n’arrêtent pas de faire la bringue, de picoler, de sniffer, de se faire des nanas, Beigbeider est passé par là aussi, on s’en souvient.
Il a habité dans des beaux lofts, il a fait des campagnes et des films dans des beaux pays, il a rencontré des gens hyper intéressants, dont certains sont devenue ses amis. Il a adoré les femmes qu’il a épousées. Il est très fier de tous ses enfants. Il n’a manqué de rien. Il a peut-être eu un problème avec son frère réalisateur car il n’a pas fait assez appel à lui pour ses films, et aussi avec un de ses fils car il n’a pas été trop présent, il le confesse. Mais quand on est très jeune et que tout tombe du ciel, on est comme les jeunes chiens fous, on s’amuse et on jouit.
Pour des pubard(e)s dont je suis, pas trop de surprises dans J’enlève le haut sauf que je ne connaissais pas tous les trafics de fric, de surcoms, d’arrangements, de prévarication dont on faisait preuve entre agences, centrales d’achat d’espaces, et prods diverses et qui ont sévi jusqu’à la loi Sapin.
J’y ai retrouvé beaucoup de figures dont j’ignorais la vie de bâtons de chaise ou les manières assez particulières, revu quelques connaissances mais pas tant que ça parce que j’ai commencé plus tard et pas dans les meilleures enseignes. Moi c’était plutôt Ringard & Grosse Com mes premières agences… Je m’en suis quand même sortie honorablement.
Bref, c’est un livre de nostalgie, si on veut, il nous ramène à des années-lumière de ce qu’on voit aujourd’hui sur les écrans et sur les murs ou de ce qu’on entend à la radio et nous fait dire, comme Pierre l’écrit, qu’au niveau pub, c’était mieux avant, et il assume comme un vieux con qu’il est. Je cite.
C’est donc une belle histoire paradisiaque qui s’arrêtera le jour où on aura croqué la pomme d’Apple, celle qui a permis à n’importe qui de faire ses films ou de remonter ceux de l’agence (merci FinalCut), de trafiquer les annonces en agrandissant le logo et en changeant la mise en page (merci Illustrator et PhotoShop) et de réaliser tous les trucages possible sans bouger de son siège.
Alors, ce livre plein d’anecdotes va certes faire des envieux, mais il n’en reste pas moins un excellent témoignage d’une tranche de notre vie à jamais disparue.

J’enlève le haut par Pierre Berville, 2018 aux éditions Aquilon. 424 pages, 24,90 €.

Texte © dominique cozette

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