Un livre qui va en agacer plus d’un/e comme toute histoire de réussite chanceuse.
Voilà un p’tit gars, Pierrot, Pierre Berville en vrai, il ne sait pas trop quoi faire, c’est pas qu’il s’ennuie, mais bon, qu’est-ce que je peux faire ? Heureusement pour lui, son grand frère, Paul, est dans la pub et y fait son trou. Alors, plutôt que d’aller à l’armée, Pierre se fait porter pâle et commence sa belle histoire par un stage croquignolet. Puis enchaîne, grâce au frangin, les places dans les agences de pub qui commencent à faire parler d’elles. Et alors, sans qu’il ait rien demandé, il gravit sans peine les échelons qui l’emmène aux sommets de la gloire. Parce qu’il deviendra très vite une super pointure de la création.
Certes, il a du talent, du répondant et de la gouaille. Personnellement, je ne l’ai pas connu mais beaucoup croisé et j’ai beaucoup lu son nom dans la rubrique « qui a fait quoi » dans Stratégies. Il l’écrit lui-même : ce n’est que de la chance. Couronnées de nombreux prix et lauriers, ses campagnes sont encore dans les mémoires, ne serait-ce que celle de Myriam qui enlève le haut, faite en free-lance, sport qu’il a beaucoup pratiqué et qui lui a rapporté beaucoup d’argent. Une chance énorme, encore : il trouve ses (très bonnes) idées très vite et très facilement. Oh, que c’est agaçant !
Il a donc connu la meilleure période de la pub, celle des créatifs qui arrivent à l’heure qu’ils veulent, qui bossent comme ils veulent, qui causent comme ils veulent. On les protège, on les couve, on les admire. Du moins ceux qui ont du talent. En plus, on les paie bien. En plus, ils n’arrêtent pas de faire la bringue, de picoler, de sniffer, de se faire des nanas, Beigbeider est passé par là aussi, on s’en souvient.
Il a habité dans des beaux lofts, il a fait des campagnes et des films dans des beaux pays, il a rencontré des gens hyper intéressants, dont certains sont devenue ses amis. Il a adoré les femmes qu’il a épousées. Il est très fier de tous ses enfants. Il n’a manqué de rien. Il a peut-être eu un problème avec son frère réalisateur car il n’a pas fait assez appel à lui pour ses films, et aussi avec un de ses fils car il n’a pas été trop présent, il le confesse. Mais quand on est très jeune et que tout tombe du ciel, on est comme les jeunes chiens fous, on s’amuse et on jouit.
Pour des pubard(e)s dont je suis, pas trop de surprises dans J’enlève le haut sauf que je ne connaissais pas tous les trafics de fric, de surcoms, d’arrangements, de prévarication dont on faisait preuve entre agences, centrales d’achat d’espaces, et prods diverses et qui ont sévi jusqu’à la loi Sapin.
J’y ai retrouvé beaucoup de figures dont j’ignorais la vie de bâtons de chaise ou les manières assez particulières, revu quelques connaissances mais pas tant que ça parce que j’ai commencé plus tard et pas dans les meilleures enseignes. Moi c’était plutôt Ringard & Grosse Com mes premières agences… Je m’en suis quand même sortie honorablement.
Bref, c’est un livre de nostalgie, si on veut, il nous ramène à des années-lumière de ce qu’on voit aujourd’hui sur les écrans et sur les murs ou de ce qu’on entend à la radio et nous fait dire, comme Pierre l’écrit, qu’au niveau pub, c’était mieux avant, et il assume comme un vieux con qu’il est. Je cite.
C’est donc une belle histoire paradisiaque qui s’arrêtera le jour où on aura croqué la pomme d’Apple, celle qui a permis à n’importe qui de faire ses films ou de remonter ceux de l’agence (merci FinalCut), de trafiquer les annonces en agrandissant le logo et en changeant la mise en page (merci Illustrator et PhotoShop) et de réaliser tous les trucages possible sans bouger de son siège.
Alors, ce livre plein d’anecdotes va certes faire des envieux, mais il n’en reste pas moins un excellent témoignage d’une tranche de notre vie à jamais disparue.
J’enlève le haut par Pierre Berville, 2018 aux éditions Aquilon. 424 pages, 24,90 €.
Texte © dominique cozette