Si, les femmes ont des histoires, la preuve

Les femmes n’ont pas d’histoire, le premier roman d’Amy Jo Burns, n’est pas la traduction du titre américain qui est Shiner, référence à Moonshine, un whisky de contrebande, fabriqué dans les montagnes sauvages des Appalaches, où vit Wren, une jeune fille de quinze ans, avec sa mère et son père et non loin, mais pas trop près non plus,  la famille d’Ivy, meilleure amie de sa mère, qui a quatre fils et un mari imbibé. Qui fabrique le whisky.
C’est un récit âpre dans ce désert luxuriant propice à aucune incursion. Le smartphone comme l’ordinateur n’y ont pas droit de cité. Il faut aller à la ville, une bourgade, pour voir du monde et des choses. Mais pas grand chose.
Le père de Wren est un taiseux dont l’aura vient du fait qu’il est porteur de serpents, un don important pour un prêcheur, qui tend à disparaître. Il garde ses reptiles dans une cabane interdite. Ce sont de dangereux spécimens dont la morsure entraîne la mort.
Les deux mères, Ruby et Ivy sont inséparables depuis leurs années scolaires. Ivy est venue à contrecoeur s’installer ici avec celui qu’elle a épousé vite fait pour continuer à fréquenter Ruby qui a été mariée aussi très jeune, au prêcheur, homme séduisant mais très malsain.
Ce roman est en trois partie : le temps présent, riche en événements, blessures, mystères de toutes sortes, découverte de la sensualité pour la jeune fille. Quand on vit dans un monde clos, vaste et sauvage, beaucoup d’aventures vous attendent au coin du bois. Et pas que des bonnes.
La deuxième partie est un flash-back où l’on vit avec Ivy et Ruby adolescentes, leurs petits secrets, leurs mésaventures amoureuses ou sexuelles parfois très graves qui vont forger le destin que l’on connaît déjà.
La troisième partie est la confession d’une morte, une des deux mères disparues tragiquement, en fait toutes les questions que se pose Wren sur son histoire, ce qu’il s’est passé, la vie de ses parents. Elle y aura la révélation importante d’un ami des mères qui éclairera quelque peu les secrets qui empoisonnent sa vie. Une chose particulièrement : lorsque sa mère est morte, elle avait commencé une lettre à sa fille « Wren, je voulais te dire » mais n’a pas pu la continuer. Wren trouvera alors la « confession » d’Ivy, piste ténue de la résolution complète d’une existence border line.
Très très beau roman, touffu comme la forêt, accidenté et, pour nous, urbains inconscients, riche de toutes sortes de descriptions ou de faits propres à ces contrées inhabitées, dans la grande tradition de certains romans américains.

Les femmes n’ont pas d’histoire par Amy Jo Burns, 2020. Traduit par Héloïse Esquié. Aujourd’hui en poche chez 10/18. 310 pages, 8,20 €

Texte © dominique cozette

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