Le hasard fait bien les choses

A l’occasion de ces chroniques d’Elena Ferrante, je découvre Andrea Uccini qui illustre tellement joliment chaque chronique de l’écrivaine. Ce n’est pas un débutant puisqu’il sévit régulièrement au New-York Times, au Guardian, au Washington Post et au Wall Street Journal. Allez voir son site et regardez les images de près : elles relèvent d’une délicieuse poésie aux nuances subtiles.
Sinon, oui, les chroniques du livres, 51 en tout, ont été commandées à Elena Ferrante par the Guardian. Elle a fait l’exercice durant une année et c’est intéressant de comparer la sobriété réfléchie de ce livre au foisonnement de l’Amie Prodigieuse. On sent qu’elle a poli sa pensée pour aller le plus loin possible dans le sujet traité, la jalousie, la mort, l’écriture, le cinéma… et  nous donner à réfléchir.
C’est un très beau petit livre avec rabats à trous qui laissent passer les couleurs.

Chroniques du hasard par Elena Ferrante, titre original : L’invenzione occasionale. Traduit par Elsa Damien. 2019 aux éditions Gallimard. 174 pages. 16,50 €

Texte © dominique cozette

 

L'amie prodigieuse de Ferrante

Après m’être un peu ennuyée avec Les jours de mon abandon d’Elena Ferrante, j’ai été lentement mais sûrement conquise par l’écriture de l’amie prodigieuse, une histoire d’amitié ou plutôt de proximité et de rivalité amicales de deux filles élevées dans un quartier pauvre de Naples dans les années 50. Au départ, elles se testent et c’est Lila la dominante, le casse-cou, la désobéissante. Elena est une fille sage qui travaille bien. Les enfants à l’époque n’étaient pas censés faire des études, dans ces familles qui tiraient le diable par la queue. Ils aidaient très vite leurs parents dans leurs petites entreprises ou à la maison. C’étaient des épiciers, cordonniers, garagistes ou portiers de mairie (top du top). Ils ne partaient jamais de chez eux, ne connaissaient que la poussière, les commérages, les misères et les problèmes du quartier.
Or, il se trouve que la narratrice est la première de la classe. Qu’elle, donc, domine tout le monde mais surtout Lila. Jusqu’au jour où elle entend la maîtresse dire que la plus forte de tous, c’est Lila. C’est une surdouée (ça ne se dit pas à l’époque) beaucoup plus mature que les autres. Et  malgré sa mauvaise tenue, l’institutrice va la pousser aux études avec Elena. Mais les parents de Lila ne veulent pas, même si son frère, cordonnier comme le père, essaie de les convaincre. Pour Elena, il faut le soutien assidu de la maîtresse pour qu’elle puisse entrer au collège.
Ici, comme ailleurs, les petits coqs de village paradent, font les beaux, s’étrillent pour le leadership. Les filles sont interdites de les fréquenter sans être chaperonnées, ce qui n’empêche pas les sentiments, les jalousies, les envies, les désirs. Lila va continuer, en secret, à s’instruire et même à devancer les matières d’Elena, elle prend des tas de livres à la bibliothèque et son cerveau continue à progresser. Sans jamais se l’avouer, les deux filles se lancent ce genre de défi mais quand Elena a besoin d’éclaircissements sur un sujet, elle n’hésite pas à consulter Lila.
Ici, comme ailleurs à cette époque, les jeunes hommes peuvent demander la main d’une fille sans l’accord de celle-ci et les parents acceptent si le parti est bon. Durant toute leur adolescence, jusqu’au mariage de l’une d’elle à 16 ans, on va assister à l’éclosion de tous ces jeunes, leurs façons de se comporter, leur soif de gloire et d’argent ou au contraire leur besoin de s’ancrer dans la vie qu’ils ont toujours connue. C’est une analyse très fouillée des sentiments et des pulsions que développe l’auteure qui fait que le récit devient exaltant avec tous les événements inattendus de la vie, les mensonges, les trahisons, les secrets.
Mais le livre s’arrête brutalement lors du mariage alors que le début du récit promettait d’arriver jusqu’à la soixantaine de ses héroïnes. Mais ouf, le deuxième volet de la saga existe, que je vais me procurer illico presto.

 

L’amie prodigieuse d’Elena Ferrante. 2011. Traduit en 2014 par Elsa Damien. Chez Folio. 430 p.

texte © dominique cozette

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