Mon père, bel homme dégarni précocement, blond aux yeux bleus, aux lèvres pulpeuses, avec une profonde fossette au menton, nous a légué, à ma petite sœur et à moi, sa longueur étonnante de poils sur les bras. Ses parents picards, gens stricts et de devoir, ayant toujours pris la vie au sérieux, pas méchants néanmoins, refilèrent ces qualidéfauts à mon père qui toujours manqua de fantaisie, de bagage artistique, de sens créatif. Il avait fait “son” droit, travaillé aux impôts. Il inspirait confiance. J’ignorais ce que voulait dire : conseil fiscal lorsqu’il fallait inscrire la profession du père sur les fiches de rentrée. Ça me provoquait même une forme de répulsion pour ce monde de l’argent, de son vocabulaire, des déclarations, les trucs de ce gros un nuage administratif qui persécutait ceux qui n’étaient pas en règle.
Avec ses associés, c’était la bringue le dimanche dans notre banlieue des bords de Marne mais leurs femmes lui faisaient les yeux doux, un peu trop, d’où de sales histoires, puis des ruptures définitives. Pour finir, mon père se réfugia dans une sorte de vie privée dont il nous priva définitivement.
Ces joyeux drilles du dimanche équipés d’enfants de nos âges disparurent de notre vie, nous laissant orpheline d’ami.es. Nous n’eûmes plus que Mimi, le petit rachtèque de la voisine, coupeur de vers de terre en rondelles, pour nous distraire à travers le grillage.
Texte et image © dominique cozette