Misère insupportable aux yeux des puissants

Vous avez l’avez peut-être vu aux infos ou lu dans la presse ou sur vos réseaux, cette histoire du G8 :  « Le sommet du G8 se déroule ces lundi et mardi à Lough Ern, en Irlande du Nord. Et pour éviter que les grands dirigeants du monde ne soient confrontés aux ravages de la crise économique, Belfast a décidé de redécorer certaines boutiques des villages avoisinants et d’utiliser des trompe-l’oeil. »
(Article ici)
Quand j’étais petite (ou jeune je ne sais plus), on avait parcouru en voiture une route de province dont tous les troncs d’arbres étaient fraîchement peints en blanc. J’avais demandé pourquoi, pensant que c’était peut-être pour empêcher les limaces d’aller se goinfrer de feuilles et pourrir la vie de ces nobles plantes. On m’avait répondu que c’était pour la visite du général de Gaulle. J’avais trouvé ça stupide et injuste. Et pourquoi le chef d’état bénéficierait-il de tels égards ? Plus tard, j’ai constaté qu’il en était de même lorsqu’un monsieur Glandu de la république se faisait photographier dans le métro, les prisons ou je ne sais quoi. Qu’il est hors de question de montrer la misère à ceux qui nous gouvernent.
Car ceux qui nous gouvernent sont des gens excessivement sensibles (excessivement veut dire trop, je rappelle). S’ils voyaient vraiment comment vivent les gens, en vrai, c’est sûr qu’ils en seraient malades. Qu’ils n’en dormiraient pas. Qu’ils attraperaient le blues. Qu’ils tomberaient en dépression et peut-être se suicideraient. Comment ferions-nous si Poutine, Obama ou Hollande se pendaient ?
Car c’est prouvé scientifiquement : plus on est puissant (ou plus on est riche, ce qui revient au même), plus on apprécie les jolies choses.
Moins on goûte la poésie du caniveau. Moins on supporte le bruit et l’odeur. Moins on va dans les endroits glauques. Et plus on a peur des gens pauvres. Les gens pauvres sont sales. Ils ont la gourme et des poux et des croûtes sur la tête et des abcès aux gencives. Et le sida ou la lèpre. Et ces gens-là, s’ils vous serrent la main, il faut vite que l’esclave propre qui vous accompagne sorte une lingette antiseptique pour décontaminer votre main. Les gens pauvres, ça fout le cafard.
Les puissants, les riches, ont des endroits à eux sur toute la planète où les pauvres n’ont pas accès. Leurs trajets, leurs résidences, leurs lieux de loisirs ou de travail sont protégés de ces gens-là.  Privatisés. Jamais ils n’en rencontrent (sauf leurs esclaves propres). Parce que ça leur fait mal au coeur de voir que plein les gens malheureux ne peuvent pas se payer du luxe, obtenir tout ce qu’ils veulent d’un claquement de doigt ou de bottes et sont obligés de supporter des choses très moches. Très dures. Très dégradantes. Très humiliantes. De vivre comme des bêtes.
C’est pourquoi on a monté des décors dans les rues proches du G8 dans cette Irlande touchée de plein fouet par la crise. Les gens riches ou puissants ont une protection qui les empêche d’être touchés de plein fouet par la misère. Et quand la protection fait défaut et que le puissant ou le riche risque d’être touché de plein fouet par la réalité, on fabrique un décor. Donc en Irlande, on a mis des superbes photos de belles vitrines sur des boutiques en faillite —  ça s’appelle des trompe-l’oeil —  on a repeint vite fait des façades — ça s’appelle des trompe-couillons. On a peut-être même loué des figurants tout beaux tout propres pour que  la vie dans cette Irlande touchée de plein fouet par la crise leur montre  un pays riant avec des gens gais, dignes et fiers, touchés de plein fouet par la grâce de se trouver sous l’oeil du G8.
Ainsi, ceux du G8, ceux qui représentent la puissance mondiale, peuvent se réunir sereinement, parler de la Syrie et autres petits problèmes planétaires sans importance sans être pollués par des visions indécentes…

Texte © dominiquecozette

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