La palourde est-elle légère ?

Sigolène Vinson est une rescapée des attentats de Charlie. Ils l’ont épargnée parce que c’est une femme. Après la tuerie et avant le procès où elle devait témoigner, elle a écrit un livre assez barré (d’après le Monde), comme elle, puis cette fois, elle sort un livre de légèreté, la Palourde. Que je ne trouve pas si léger que ça au niveau du sujet, la planète qu’on bousille, mais très aérien au niveau du style.
L’héroïne est venue s’installer au pied d’une falaise ocre, dominant l’étang de Berre dont elle connaît et cite nombre d’êtres vivants, plantes, mollusques, insectes, poissons… Ses voisins l’apprécient pour son côté primesautier, particulièrement François, un pêcheur sympa et vif. Il lui annonce que si leur voisine Marie, une femme plus âgée, est fantasque, c’est à cause de sa maladie galopante : d’ailleurs , elle considère un de ses paons — qui crie Raoul au lieu de Léon — comme son chien et le promène en laisse. Marie est la femme de Youssef, un autre bienveillant, qui lui conseille de répondre à l’amour de François. Mais elle préfère être furieusement amoureuse de Jean, lui travaille à la centrale hydro-électrique qui détruit l’étang, qui ne l’aimera jamais car il aime sa femme. Et pourquoi pas elle demande-t-elle lors d’un pot au bistro du coin ? Parce que sa femme « est d’ici ». Impossible d’aimer autant les femmes qui ne sont « pas d’ici ». Tant pis, elle décide qu’il sera son dernier amour car elle ne veut plus aimer depuis qu’avec le premier, Pierre, c’était tellement fort qu’ils étaient devenus comme frère et sœur et qu’ils se sont quittés pour ça. Ils sont amis, lui marié, un enfant.
Donc cet étang est en train de mourir à cause du réchauffement et de la centrale, la palourde crève avec plein d’autres êtres vivants, les insectes tombent, rien ne va plus
Un moment, une sorte de vipère des mers desséchée, un syngnathe aiguille qu’elle garde précieusement chez elle, se met à parler à notre héroïne pour la pousser dans ses retranchements car rien de ce qu’elle pense ou fait n’est raisonnable ou du moins justifié.
Ce roman inclassable est en fait un long poème dans lequel il est difficile de scinder fantasme et réalité mais où la nature est peinte avec magnificence, entre l’abstraction et l’impressionnisme. Tout semble beau, même l’odeur puante du coquillage mort et la teinte boueuse de l’eau, les dialogues surtout sont autant surréalistes que saugrenus, en tout cas surprenants, mais où va-t-elle chercher tout ça, et le vocabulaire concernant la nature est d’une immense variété. Sur la couverture du livre, en carton épais, de belle facture, de superbes méduses filandreuses nous en donnent un aperçu.

La palourde de Sigolène Vinson, 2023 aux éditions Tripode. 170 pages, 19 €

Texte © dominique cozette

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