J’avais trois ans. Ma mère enceinte de la petite
me disait que son gros ventre était dû à la bière.
C’est vrai qu’il y avait de la bière Dumesnil sur les tables,
dans des belles bouteilles à bouchons en porcelaine
avec rondelle de caoutchouc, pareil pour la limonade,
de celles qu’on achète aujourd’hui
dans des concept-stores comme Merci
pour en faire des carafe d’eau très chics
avec une tige de menthe ou un zeste de concombre.
On habitait un pavillon parmi d’autres pavillons,
tous très différents, construits à la va-vite sans plan.
Le nôtre avait des créneaux et une terrasse comme toit,
je pourrais dire un rooftop si j’étais snob.
Un peu plus loin étaient les cagnas,
je regarde sur mon moteur de recherche
car je ne l’ai jamais vu écrit,
oui, les cagnas (mon correcteur me refuse ce mot)
définies comme des maisons de pauvres.
C’était juste la place d’un pavillon entre deux pavillons,
ça faisait comme un couloir sur lequel donnaient
les logis de 30 mètres carrés où logeaient
les quelques familles nécessiteuses du quartier.
Une fillette, Martine, était dans la même classe
que ma petite soeur, elle y allait jouer parfois.
Il y avait un poêle à sciure et du lino déchiré sur le sol.
On poussait entre les dalles et les pavés,
on bouffait certes n’importe quoi mais tout était bio.
Le bio d’aujourd’hui est le traditionnel de l’époque,
quand Monsanto, Bayer et les autres
fabriquaient des gaz qui tuent,
des trucs immondes pour supprimer le plus de bouches possibles
qu’ils seraient heureux de gaver de leurs saloperies plus tard,
après mutation de leur saletés de défoliants
en engrais et pesticides douteux.
Bien que mes parents ne roulent pas sur l’or,
—le pavillon était un don de mon grand-père maternel —
on avait une « bonne » pour s’occuper de nous.
L’une d’elles s’appelait Marguerite
et avait souvent les bras en équerre
avec les deux mains qui pendaient mollement, ballantes quoi :
ceci resta une posture de bonne.
Une autre, Jeanne, fit une fausse-couche dans les waters.
Pour s’alléger, ma mère m’envoya chez ses parents
à Rouen. A Bapeaume-lès-Rouen. Pour quelques temps.
Je fus traitée comme une princesse.
(A suivre)
texte et image © dominique cozette