Un livre exceptionnel

Et je pèse mes mots : ce livre est une merveille. Au début j’ai pensé, bon une histoire d’enfance etc… mais je serais passée à côté de cette merveille. Le palmier de Valentine Goby nous emmène dans la nature, un très grand parc planté de mille espèces où adore se promener Vive, la fillette, avec Jujube son chien. Son père collecte les essence de parfums dans le monde entier et à chaque retour de voyage, en offre un échantillon à sa gamine qui développe un nez extraordinaire et une connaissance profonde des plantes, arbres ou autres éléments qui produisent ces odeurs. Rien que la façon dont le père raconte à la fillette les parfums et à celle qu’elle a de deviner et de lui répondre, c’est d’une grande délicatesse. La poésie est partout, j’avoue aussi que j’ai souvent regardé sur min Iphone les images correspondant à ce qu’il évoquait, c’est très enrichissant.
Mais un jour, sale jour, on fait venir un élagueur pour ététer le majestueux palmier trônant au milieu de toute la verdure. Parce qu’il est mourant, infesté de charençons, des centaines de sales larves qui l’ont détruit. Il ne va rester que le tronc appelé le stipe (j’apprends que les palmiers ne sont pas des arbres mais des herbes géantes, donc pas de tronc), dressé insolemment devant les fenêtre.
A partir de ce jour, la fillette ne peut plus dormir dans sa chambre, soit elle rejoint sa mère quand le père est parti, ou son frère ado, ou elle fait monter son chien, ce qui est interdit. Et son nouveau talisman est un tee shirt « d’artifice » avec son nom cloqué en brillant dessus, qu’elle récupère où qu’il soit, sinon elle ne peut pas affronter la journée.
Il se passe beaucoup de choses familiales autour d’elle et puis des amitiés, des vacances, mais depuis qu’elle va mal, tout est sali. Jusqu’à ce que son père, excédé par ses « caprices » lui fasse rencontrer une psychologue-enquêtrice qui va l’aider, à force de ruse, de patience, d’aide avec les parfums, à défroisser les plis de sa mémoire pour y retrouver l’origine du traumatisme.
NB : la fillette s’appelle Vive en référence à la chanson de Béart, l’Eau Vive créée pour le film éponyme de Jean Giono, une chanson menaçante et non une berceuse comme on peut le croire.
Ce livre est une source d’apprentissage, on y apprend tout ce qu’il faut savoir sur le parfum, l’extraction des odeurs ou l’impossibilité de l’extraire et c’est tout le talent, la finesse d’écriture et la fraîcheur de la fillette qui fait qu’on est subjugué par ce monde particulier.
Une fois n’est pas coutume, je vous livre un extrait : « Il dévisse le bouchon, sent le premier. C’est le moment qu’elle préfère. Il (…) approche directement le flacon de ses narines. L’ylang dégomme l’odeur d’usine. C’est l’odeur toute crue. Vive recule. Attends, dit le père. Il tâte ses poches, en sort une mouillette cornée, la trempe dans le flacon. Il agite la mouillette, laisse se disperser le parfum, tend la mouillette à Vive. Elle inspire et expire par à-coups, elle a appris à faire, vide ses narines et respire à nouveau, si tu ne modères pas tes inspirations l’odeur attaque et tu ne perçois rien que du fort et du plat. Une odeur se déplie, il faut du temps pour entrer à l’intérieur. On la fait d’abord voyager vers les poumons, vers le cerveau, Vive visualise le trajet à travers les tuyaux et les poches du corps. Elle te remplit et ensuite seulement elle t’enveloppe, tu entres dans l’odeur, tu découvres sa forme, ses strates. Vive éloigne, rapproche la mouillette molle, se concentre. En dessous, ça ressemble au chèvrefeuille ou au jasmin, elle pense, le chèvrefeuille et le jasmin elle connaît, il en pousse dans le jardin. Et puis le bonbon, décodent ses muqueuses olfactives. Ou plutôt, le sirop blanc qu’on boit chez Oscar, elle ose à voix haute, comment il s’appelle, déjà… Orgeat, dit le père. Le vernis à ongles de sa mère, aussi, elle dit. Ça y est, elle le tient : le mou du macaron elle annonce, triomphale, l’image est nette maintenant, au milieu du biscuit, où ça colle aux dents tu sais, le pas très cuit. Elle attend le verdict, en apnée. Il hoche la tête pas mal… »
Ne passez pas à côté de ce livre de la rentrée, il est impressionnant et je reste encore tout étourdie par la beauté qu’il s’en dégage.

Le palmier de Valentine Goby, août 25, aux éditions Actes Sud. 330 pages, 22 €

Texte © dominique cozette

Mathilde, l'héroïne extra de Valentine Goby

Le livre de Valentine Goby s’appelle un paquebot dans les arbres parce qu’il démarre sur les ruines, en pleine forêt du Vexin, d’un sanatorium comme on les construisait dans les années 30. L’histoire va se situer entre la fin des années 50 et 60, durant cette période qu’on appelle à tort les trente glorieuses car tout n’y était pas, qu’on se le dise, aussi facile que ça.
Un petit village de 500 habitants et au centre, un café tabac épicerie journaux tenue par le fantasque Paulot, petit moustachu pétri d’humanité, qui se fout des ardoises qu’on y laisse, qui recueille les plus pauvres, qui offre ce qu’il a. Son amour de la vie. Sa femme a abandonné ses ambitions après son diplôme pour rester avec cet homme radieux, elle l’aime d’un amour total mais hélas, il n’a pas trop de temps pour s’occuper d’elle, tout à sa besogne d’alimenter le lien social avec ses bals, son juke-box et surtout son harmonica dont il joue avec la dextérité d’un cow-boy. Le bal, c’est avec sa fille aînée, la belle Annie, qu’il l’ouvre. Il adore sa fille. Notre héroïne, Mathilde, n’est pas sa fille mais son « p’tit gars » car elle fait tout pour remplacer le bébé garçon mort avant elle. Elle risque sa petite vie en inventant des cascades insensées pour que son père la regarde. C’est pas qu’il ne l’aime pas. D’ailleurs, on ne sait pas qu’on aime, quand on est parent à cette époque. Et il y a un petit frère, petit et effacé. Au village, on adore aller là, au Balto, on adore cette famille drôle et unie.
Mais un jour, badaboum, le bacille de Koch s’y immisce. Il va, au fil des ans, creuser son trou dans le poumon du Paulot. Qui n’y croit pas. Clope au bec, car on ne connaît pas encore les ravages du tabac, il continue à amuser les gens, même au sana. Mais hélas, le tubard n’a plus bonne presse, ni ses enfants. C’est que c’est contagieux cette saleté.
Peu à peu, la tuberculose va bouffer leur vie, détruire ce qu’ils n’ont pas su sauvegarder, exploser cette famille en les privant d’abord de leur mère qui va elle aussi aller au sana, puis de la sœur Annie qui disparaît faire sa vie et son bébé avec Mathieu, ne plus s’approcher des saloperies qui infectent les poumons. Puis placer les deux restants dans des familles d’accueil, de dépérissement. Le café est vendu, les soins coûtent cher.
Et c’est Mathilde, notre héroïne, qui va sacrifier toute son enfance et son adolescence à courir des uns aux autres pour reconstruire un semblant de vie, protéger l’amour de ses parents, sauver son petit frère de la mélancolie dans laquelle il s’immole.
Il va falloir faire face à tous les gens du village qui les rejettent à cause du bacille, qui tournent le dos, qui ne paient pas leurs dettes. Il va falloir trouver des solutions pour tout. Et cette extraordinaire jeune fille n’a peur de rien. Elle n’a rien mais semble pouvoir tout faire, non sans mal, bien sûr, ni terribles sacrifices.
Ce livre est palpitant, formidable. C’est une belle et poignante photo de ces années-là où les progrès n’avaient pas encore atteint toutes les couches de la population, où on pouvait crever de faim, où la gentillesse n’était pas requise pour être famille d’accueil mais où elle se rencontrait un peu partout au coin d’une route ou dans un lycée technique. Je ne sais pas si ce roman fait partie de la trentaine de livres de la rentrée dont tout le monde va parler. Mais il est passionnant.

Un paquebot dans les arbres de Valentine Goby, édité chez Actes Sud, 2016. 268 pages.

Texte © dominique cozette

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