Mathilde, l'héroïne extra de Valentine Goby

Le livre de Valentine Goby s’appelle un paquebot dans les arbres parce qu’il démarre sur les ruines, en pleine forêt du Vexin, d’un sanatorium comme on les construisait dans les années 30. L’histoire va se situer entre la fin des années 50 et 60, durant cette période qu’on appelle à tort les trente glorieuses car tout n’y était pas, qu’on se le dise, aussi facile que ça.
Un petit village de 500 habitants et au centre, un café tabac épicerie journaux tenue par le fantasque Paulot, petit moustachu pétri d’humanité, qui se fout des ardoises qu’on y laisse, qui recueille les plus pauvres, qui offre ce qu’il a. Son amour de la vie. Sa femme a abandonné ses ambitions après son diplôme pour rester avec cet homme radieux, elle l’aime d’un amour total mais hélas, il n’a pas trop de temps pour s’occuper d’elle, tout à sa besogne d’alimenter le lien social avec ses bals, son juke-box et surtout son harmonica dont il joue avec la dextérité d’un cow-boy. Le bal, c’est avec sa fille aînée, la belle Annie, qu’il l’ouvre. Il adore sa fille. Notre héroïne, Mathilde, n’est pas sa fille mais son « p’tit gars » car elle fait tout pour remplacer le bébé garçon mort avant elle. Elle risque sa petite vie en inventant des cascades insensées pour que son père la regarde. C’est pas qu’il ne l’aime pas. D’ailleurs, on ne sait pas qu’on aime, quand on est parent à cette époque. Et il y a un petit frère, petit et effacé. Au village, on adore aller là, au Balto, on adore cette famille drôle et unie.
Mais un jour, badaboum, le bacille de Koch s’y immisce. Il va, au fil des ans, creuser son trou dans le poumon du Paulot. Qui n’y croit pas. Clope au bec, car on ne connaît pas encore les ravages du tabac, il continue à amuser les gens, même au sana. Mais hélas, le tubard n’a plus bonne presse, ni ses enfants. C’est que c’est contagieux cette saleté.
Peu à peu, la tuberculose va bouffer leur vie, détruire ce qu’ils n’ont pas su sauvegarder, exploser cette famille en les privant d’abord de leur mère qui va elle aussi aller au sana, puis de la sœur Annie qui disparaît faire sa vie et son bébé avec Mathieu, ne plus s’approcher des saloperies qui infectent les poumons. Puis placer les deux restants dans des familles d’accueil, de dépérissement. Le café est vendu, les soins coûtent cher.
Et c’est Mathilde, notre héroïne, qui va sacrifier toute son enfance et son adolescence à courir des uns aux autres pour reconstruire un semblant de vie, protéger l’amour de ses parents, sauver son petit frère de la mélancolie dans laquelle il s’immole.
Il va falloir faire face à tous les gens du village qui les rejettent à cause du bacille, qui tournent le dos, qui ne paient pas leurs dettes. Il va falloir trouver des solutions pour tout. Et cette extraordinaire jeune fille n’a peur de rien. Elle n’a rien mais semble pouvoir tout faire, non sans mal, bien sûr, ni terribles sacrifices.
Ce livre est palpitant, formidable. C’est une belle et poignante photo de ces années-là où les progrès n’avaient pas encore atteint toutes les couches de la population, où on pouvait crever de faim, où la gentillesse n’était pas requise pour être famille d’accueil mais où elle se rencontrait un peu partout au coin d’une route ou dans un lycée technique. Je ne sais pas si ce roman fait partie de la trentaine de livres de la rentrée dont tout le monde va parler. Mais il est passionnant.

Un paquebot dans les arbres de Valentine Goby, édité chez Actes Sud, 2016. 268 pages.

Texte © dominique cozette

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