Comprendre les ravages du viol sur les enfants

la petite fille sur la banquise d’Adélaïde Bon est un livre exceptionnel sur la violence faite aux enfants car il démonte entièrement le processus de destruction de la personne. Jusqu’au jugement où là aussi, faute de connaissances, la souffrance de la victime peut être encore niée. Heureusement, il y a aussi des personnes, des psys, des associations, des avocats qui aident les victimes. Mais encore faut-il le savoir, le pouvoir, en avoir les moyens ou même, tout simplement, sortir de la léthargie émotionnelle dans laquelle elles se sont souvent réfugiées.
Adélaïde Bon relate les ravages que le viol subi à l’âge de neuf ans ont produit sur sa vie jusqu’à récemment, jusqu’à ce qu’une psychiatre l’aide à se souvenir de la scène traumatisante et à mettre des mots sur l’agression. Malgré une plainte déposée juste après, malgré l’examen par un médecin*, on (les adultes) avait qualifié cela d’attouchements (ce qui veut dire que c’est un délit, pas un crime et que la prescription est plus rapide.
(* Sa mère et le médecin avaient décelé que la vulve de la fillette était anormalement ouverte mais en l’absence de description de la part de la fillette et aussi de sang, de bleus, de manifestations de violence, avaient oblitéré le viol. Alors qu’un adulte prédateur sait vraiment violer des fillettes sans qu’il soit besoin de les frapper.)
Depuis, la fillette, puis la jeune fille, puis la femme, se demandait pourquoi les méduses angoissantes surgissaient dans sa tête, pourquoi ces dégoûts, ces cauchemars, cette volonté de détruire son corps, ce penchant aux obscénités, cette terreur de faire de sales gestes sur son bébé, ces envies récurrentes de vomir, cet empêchement à l’amour… Sans parler de la boulimie. Mais toujours souriante, toujours gaie en public, ne pas se plaindre.
Après des centaines de thérapies individuelles, en groupe, de séances d’ostéopathie, de méthodes diverses, les centaines de livres sur le sujet, elle ne vient à bout de ce drame qu’avec la rencontre de M. Salmona qui va lui venir en aide et parallèlement, avec l’arrestation du prédateur, 25 ans plus tard !, pour le procès duquel il faut tout mettre en mots. Adélaïde a rempli des carnets, toutes ses plaies, ses douleurs, ses éclaircies y sont consignées, c’est pourquoi son livre est si intime, si détaillé, si implacable. Elle ne nous épargne rien, même le plus trash.
Le procès ne lui apportera pas le soulagement souhaité. L’experte qui la cuisine n’est pas sensible à sa dévastation, le juge pas tellement non plus. Sur les 74 victimes, six ou sept seulement son présentes. Une avocate estime que le nombre des victimes de ce pervers (soit celles qui n’ont pas parlé et encore moins porté plainte) est de 7 à 800. Quant à l’accusé, soit il insulte le président (« enculé ») pour être viré du tribunal, soit il débite des choses sans queue ni tête. Alors qu’il s’exprime tout à fait normalement quand il prépare son coup. Donc aucun regret ou pardon. Rien.
Il se trouve qu’avec sa psychiatre, les attouchements subies par la fillette ont pu être requalifiées en viol, et au cours des différentes phases du procès et de sa thérapie, Adélaïde Bon s’est rendu compte que le pervers était allé beaucoup plus loin qu’elle ne l’avait imaginé. (Poignants récits des victimes lors du procès).
Le mécanisme de l’oubli est très bien expliqué (p.166) scientifiquement. Comment le cerveau se mobilise en cas de choc et de traumatisme, comment il rationalise ensuite pour agir. Mais ici, pas de rationalisation possible, le choc reste à l’état brut, le cerveau est court-circuité, on appelle cela la dissociation. La personne dissociée ne pourra pas s’en sortir seule. De plus, pour taire les sales instincts que le prédateur a fait germer, elle sera encline à répéter le processus sur autrui.
Aujourd’hui, Adélaïde Bon va mieux, elle a repris possession de son histoire et si elle vit plus sereinement, le mal reste au centre de sa vie.
Toutes les personnes concernées par les violences faites aux enfants (et aux adultes) devraient lire ce livre qui n’est pas qu’un témoignage. Qui est avant tout une recherche de sens.

La petite fille sur la banquise par Adélaïde Bon. 2018 aux éditions Grasset. 256 pages. 18,50 €.

Texte © dominique cozette

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