Le dernier Chloé Delaume

Rentrée littéraire. Ils appellent ça l’amour est le dernier opus de Chloé Delaume que j’ai eu grand plaisir à lire. Il est à la fois drôle, chic, un peu snob, très féministe et bien mené.
Clotilde, l’héroïne, est embarquée par ses quaatre amies de cœur pour leur virée annuelle de quelques jours dont le but est de lâcher prise comme on aime à le dire de nos jours, de se marrer, de faire tout ce qui nous fait plaisir. La fête du string, si on va par là. Mais quand elle s’aperçoit que la ville qu’elles ont choisie est celle où elle a été encagée et ultra-soumise à une sorte de pervers, Monsieur elle l’appelle, que la grande maison dans laquelle elle vivait avec lui est à quelques pâtés de celle qu’elles ont louée, elle chavire. C’était il y a vingt ans mais elle a toujours terriblement honte de s’être laissé embringuer dans cette parodie de conjugo avec cet écrivain sec, rigoureux, bien plus âgé qu’elle et dont elle a réussi à s’échapper en laissant tout derrière elle. Et d’ailleurs, il avait détruit, jeté et éliminé tout ce qui constituait son passé, souvenirs, archives, photos, toutes choses auxquelles on tient tous.
Elle s’est laissé dicter sa conduite, son comportement, sa façon de vivre, de baiser, de manger, peu et mal… une vie de merde « pour son bien » comme il lui répétait. Et évidemment, il s’est arrangé pour qu’elle n’ait plus aucun contact avec ses relations et amis. Aucun amour là-dedans, le seul avantage qu’il a réussi à faire valoir, c’est la sécurité. Logée, nourrie, prise en charge, alors que rien n’allait plus dans sa vie.
Elle se décide enfin à raconter cette violence à ses amies, un beau soir, alors qu’elle avait tout tu jusqu’à maintenant. Et cette séance va déclencher diverses réactions de leur part. L’une est célibataire, une autre est lesbienne, une autre a un enfant, c’est un petit échantillon de potes qui ne voient pas les choses de la même façon.
Mais qui vont organiser un raid pour la venger.

Ils appellent ça l’amour par Chloé Delaume, 2025 aux éditions du Seuil. 176 pages, 19€.

Texte © dominique cozette

Mes bien chères soeurs…

Chloé Delaume vient de sortir un petit livre, Mes bien chères sœurs — sous-titré « Désolée ça sent le fauve, il est temps d’aérer » — faisant l’état des lieux sur la place de la femme dans la société, la suprématie toujours évidente de l’homme et la quatrième vague du féministe qui se porte un peu mieux depuis les réseaux sociaux et les hashtags. « Internet a libéré la femme là où Moulinex a échoué ». C’est un livre fait de paragraphes souvent indépendants, d’une virtuosité littéraire assez étonnante, avec des tas de raccourcis et de formules hilarantes ou simplement créatives.
Elle remet au goût du jour un terme totalement oublié : l’uxoricide , qui désigne le meurtre de l’épouse par son mari. Assez de qualifier ça autrement, ce terme dit tout, déjà que c’est un meurtre (et non pas un drame passionnel ou autre dérivé). Elle sait de quoi elle parle : son père a assassiné sa mère avant de se suicider.
Pourquoi ce livre ? Pour tenter de (re)créer une société de femmes bienveillantes entre elles pouvant former masse face à la masse des « couillidés » du patriarcat qui imposent leurs lois, leur suprématie, qui s’approprient l’espace, la parole, les médias. Donc on arrête, les filles, de se tirer la bourre pour être l’unique élue dans un groupe masculin, c’est le syndrome de la Schtroumphette qui a peur qu’une autre lui ravisse la place. On arrête de dire les mots blessants quand ils arrivent genre connasse, pétasse etc… On applique bien la féminisation des métiers car — elle le dit et le répète — ce qui n’est pas nommé n’existe pas.
Pour autant, elle ne prône pas l’extinction des mâles, il y en a des très bien, mais celle de la hiérarchie et du plafond de verre. L’idéal serait l’horizontalité des rapports humains. Et voici une trouvaille sympa si ça marchait, si ça se répandait : dès que quelqu’un fait une remarque sexiste ou une blague grasse, dire « badaboum » simplement plutôt que de râler et d’entamer une polémique.
Ce livre qui n’est pas un manifeste ni un manuel est très plaisant car plein de bon sens, de piques, d’observations intéressantes. On peut picorer dedans n’importe comment.

Excellente interview d’elle dans Par les temps qui courent (lien ici).

Mes bien chères sœurs par Chloé Delaume, 2019 aux éditions de Seuil. 124 p. 13,50 €

Texte © dominique cozette

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