Adieu petit bout de femme
petite tête de moine
au talent merveilleux
fée des émulsions
créatrice sans pareille
avez-vous vu ses Plages
toujours le petit sourire
des fabricants de bonheur
sa valeur number one
quelle patate elle avait
parfois en forme de coeur
glanant dans l’air du temps
les tronches les trognes
les visages des villages
les paysans des paysages
sans feux ni lieux ni foi ni loi
mais une bonne dose d’humanité
voyez la débouler tout là-haut
irradiant de lumière des projos
comme un petit lutin taquin
une joyeuse petite déesse
adieu Agnès
bienvenue au paradis

texte © dominique cozette

Ceija Stojka : une formidable rom !

Je devrai dire romni. C’est, c’était hélas elle est morte, une femme extraordinaire, aujourd’hui exposée à Maison Rouge. J’ai d’abord vu sa peinture, une explosion de couleurs, une ode foisonnante à la nature qu’elle respecte et vénère, naïf, certes, mais extrêmement narratif et souvent très gai malgré les dramatiques épisodes passés dans trois camps de concentration avec une partie de sa famille, durant la guerre, alors qu’elle avait 10 ans. Son père a été exécuté rapidement, une perte énorme. Cette artiste autodidacte bouleversante, première femme Rom à parler du génocide les concernant, a peint sur le tard. Puis je l’ai vue, elle, même expo, dans un film de 20 minutes où elle raconte principalement comment ça se passait à Bergen Belsen. C’est horrible mais sa façon de narrer l’horreur démontre avec éclat la façon qu’elle a de prendre les choses du bon côté durant toute sa vie, quels que soient les malheurs qui la traversent.

Passionnée par ses récits picturaux et verbaux, j’ai acheté le livre qui vient de sortir, qu’elle a écrit. Car, illettrée, elle s’est arrangée pour apprendre les rudiments de l’écriture à son adolescence afin de s’élever. C’est comme ça qu’elle a écrit, sur le tard aussi, la vie qu’elle a menée avec sa famille chérie et tous ses amis roms, ou pas roms. Comment, de petites choses, ils font toujours une fête, se réunissent, dansent, chantent, des chansons très longues et chaque fois réinventées pour transmettre leurs traditions et les histoires familiales. Comment, d’un seul coup à 15 ans, elle devient mère sans le père, ce qui semble ne poser aucun problème … comment, ils travaillent tous, ils font les foires, les marchés. Ça se passe en Autriche, elle vit principalement à Vienne mais dans les années, 50, 60, ils circulent beaucoup avec leurs roulottes. Puis la caravane et la Mercedes, puis enfin, la sédentarité. Pour elle, la vie est un enchantement, et les enfants, la chose la plus chère du monde. Evidemment, la liberté dont jouissait cette communauté avant la guerre a vécu, il leur faut s’intégrer ou se cacher, ce n’est pas facile mais elle ne s’en plaint jamais. Elle a écrit sa vie sans haine (comment a t-elle fait ?) avec un appétit de jouissance et de bonheur extrêmement émouvant. Je viens de finir le livre, je vais retourner à la Maison Rouge pour m’imprégner de ses images, les revoir à la lumière de ce que j’ai appris. Passionnant, je vous dis.
Elle est morte en 2013, à 80 ans, en laissant un millier d’œuvres.

Nous vivons cachés de Ceija Stojka, suivi de deux entretiens plus d’un essai de Karin Berger, celle qui a réalisé le film et a fréquenté Ceija jusqu’à sa mort. Plus un cahier de photographies. Aux éditions Isabelle Sauvage, 2018. 298 pages, 27 €.

Exposition à la Maison Rouge (10 bd de la Bastille) jusqu’au 20 mai. Lien ici.

Texte © dominique cozette.

Marina Abramovic par Marina Abramovic

C’est un livre fantastique, passionnant, incroyable. Forcément, parce que son auteure et héroïne est elle-même fantastique, passionnante, incroyable ! Surhumaine en fait. Vous connaissez peut-être sa performance la plus célèbre : assise au MoMa, sans jamais bouger, ni boire, ni parler, ni faire pipi, elle accueille sur le siège d’en face toute personne désireuse de planter son regard dans le sien le temps qu’il veut. 750 000 personnes se sont pressées pour voir la performance, 1500 personnes lui ont fait face pour souvent pleurer d’émotion devant ce miroir d’elles-mêmes.
Marina est née en 1946, ce n’est pas une baby-boomeuse, elle n’a pas profité des trente glorieuses puisque née dans la très austère ex-Yougoslavie. Père courageux partisan de Tito, mère responsable d’art et cruellement odieuse avec sa fille qu’elle frappe tout le temps, qu’elle critique, à qui elle interdit toute sortie jusque bien après sa majorité et, même si elle se marie pour lui échapper, la contraint de rester avec elle, sans son mari. Cette sinistre éducation, qu’on appelle l’emprise,  fera d’elle une guerrière, une personne qui n’aura jamais peur de rien, ni de la douleur, ni de la provoc, ni des exhibitions, ni des sentiments. Elle va passer sa vie — loin d’être finie car elle est en pleine forme à 71 ans — à réaliser de douloureuses et dangereuses performances.
La première, qui n’en est pas encore une, consistait à se jeter contre le mur de sa chambre pour casser son grand nez et espérer qu’on le lui refasse tel celui de Brigitte Bardot.
Ses premières apparitions publiques sont liées à son corps, sa main ou son corps nu, auxquels elle inflige de terribles épreuves qui se terminent dans le sang. S’ensuivront d’autres façons de dépasser ses limites : congeler son corps nu sur des gros blocs de glace, lui faire perdre conscience dans des cercles de feu, le mettre en déséquilibre extrêmement périlleux. Et surtout, le soumettre à une discipline inhumaine, comme au MoMa et ailleurs où elle se contraint à rester des jours et des jours dans une position non seulement intenable si on ne s’est pas entraîné mais surtout dangereuse pour l’organisme (c’est expliqué médicalement dans le livre). On la verra aussi à Venise dans une cave parmi un amoncellement d’os de bœufs qui pourrissent, grouillent de vers, puent de façon insoutenable, tandis qu’elle reste là, des semaines, à les gratter, devant un public écœuré ou abasourdi.
A 30 ans, elle rencontre, une sorte de jumeau de l’âme, Ulay, avec qui elle réalise de nombreuses performances. Ils vivent dans un camion sans aucun confort, circulent dans toute l’Europe pour s’exposer. Elle l’adore, leur entente est extraordinaire mais il n’est pas si clean que ça. Leur énorme projet, qui prendra des années à se monter, est de partir chacun d’un côté de la Muraille de Chine, de marcher l’un vers l’autre et de se marier lors de leur rencontre, trois mois plus tard. Ça se fera mais les aléas sont très importants et ça se termine très mal pour Marina. Pas pour lui. Ils se séparent et malheureusement, elle lui laisse laisse toutes ses archives, photos, films. C’est tout ce que les performers peuvent monnayer.
De nombreuses performances encore plus drastiques sont racontées, mais le livre ne peut pas se résumer. Parallèlement, Marina met au point des stages pour les plasticiens qui désirent s’initier à la performance. Dès le début, elle les met à l’épreuve par une discipline de fer, par exemple 4 jours sans manger ni bouger, ou se perdre nu dans une forêt, ou compter des grains de riz des heures entières… Lady Gaga qui est une fan depuis longtemps a demandé un stage, très difficile, qui a été filmé puis monnayé afin de pouvoir aider Marina à créer une fondation destinée à porter la « bonne performance » dans le monde entier.
Ce livre est très dense, il nous montre comment une femme munie d’une telle puissance de volonté reste fragile face aux peines d’amour qui la blessent plus que tout (je ne vous ai pas parlé de la deuxième, très dure). Mais aussi comment on peut transformer son état de conscience si on le veut vraiment, comment la volonté peut s’entraîner et permettre de franchir ses limites ou « traverser les murs« , titre du livre.
A lire absolument, absolument, absolument ! Le meilleur livre que j’aie lu cette année…

Traverser les murs, mémoires de Marina Abramovic. 2016 en anglais, 2017 chez Fayard. Traduit par Odile Demange.  446 pages, 24,90 €.

Panne de photocopieuse, éruption cutanée, accident de scooter, rupture difficile…

Pour résoudre vos petits et gros ennuis, réaliser vos souhaits, adressez-vous à Claire Wallois, alias Dove perspicacius, son nom d’artiste. Comme les sorciers africains qui peuvent faire revenir l’être aimé ou vous assurer la fortune (son flyer en fait foi), elle crée des ex-voto qui peuvent solutionner vos problèmes. Elle est en résidence à Paris jusqu’au 21 décembre, c’est le moment de passer commande !

« SometimeStudio est ravie de vous présenter l’artiste Claire Wallois, invitée en résidence à la galerie du 30 Novembre au 21 Décembre. Diplômée de l’école des Arts Décoratifs de Strasbourg en 2013, Claire Wallois accompagnée à l’origine de Colombe Ferté-Fogel, a formé en 2010 Dove Perspicacius, autour d’un tableau commémorant l’issue miraculeuse d’un accident de voiture. Elle réalise aussi des décors de fête foraine.Pendant ces 3 semaines d’exposition, les visiteurs pourront découvrir des œuvres originales de l’artiste : une centaine d’ex-voto personnels, ainsi que le grand retable de l’Eté. L’artiste sera présente sur place pendant toute la durée de l’exposition, pour prendre et réaliser les commandes des visiteurs et représenter leurs propres aventures, leurs remerciements, et leurs demandes, sous la forme d’ex-voto. « Panne de photocopieuse, éruption cutanée, incendie de grange, accident de scooter, brûlure chimique, rupture difficile, infraction au code de la route : il y a toujours une bonne raison de faire un ex-voto. Du garagiste à Mercure, en passant par St Christophe, sa propre mère, son patron, ou un ophtalmologiste, nombreuses sont les personnes à qui s’adresser par peinture interposée pour demander une faveur, ou remercier, suite à un miracle. Peinture à l’huile, faux marbre, velours, frange dorée, broderie, pyrogravure et vitrail sont à votre disposition.L’idée est d’explorer une façon mythique de vivre le monde ; transfigurer les évènements sur une échelle épique. L’ex-voto est un espace où se rencontrent le quotidien et l’exceptionnel, le céleste et l’humain, l’art et nous.  En partant de votre récit, qu’il soit celui d’un instant unique où d’un souhait de protection éternelle, nous lui donnerons, grâce aux techniques de peinture ou de broderie et à notre interprétation toute l’intensité et la valeur qu’il a pour vous. Faire un ex-voto, c’est raconter une histoire, ou une manière de dire unique. Vous emportez bien sûr la pièce terminée avec vous. »

 

 

 

 

 

 

SometimeStudio 26 rue St Claude, 75003 Paris.  Lien du site de Claire Wallois ici.

Texte © galerie Sometimes Studio (et dominique cozette pour le début).

 

L'immense poésie de Claire Morgan

Elle est Irlandaise, jeune, talentueuse. Claire Morgan est née en 1980 et a connu le succès très vite à travers l’Europe. Son travail Perpetually at the Centre est superbe, se prévalant d’une préoccupation écologiste pointue, la place que laisse l’homme dans la nature fragile dont ses œuvres rendent si bien compte. Le paradoxe, c’est qu’elle est aussi taxidermiste. Animaux morts, natures mortes, déchets de ses travaux de naturalisation, os, sang, dans ses tableaux et installations.
Ses installations sont monumentales, sublimes, presque à la limite du diaphane parfois (pas de résultat sur photo, donc), faites de minces fils géométriques où sont accrochés des fragments de plastique, des graines volatiles de pissenlit (celles qui volent quand on souffle dessus). Certaines composent des mots à la limite du visible qu’on essaie de déchiffrer.
J’ai rarement vu une exposition aussi poétique !

 

 

 

 

 

Il y a aussi des dessins et des peintures étranges.
Galerie Karsten Greve, 5 rue Debelleyme 75003. jusqu’au 23 déc. Lien ici

Texte et photos © dominique cozette

 

Dernières nouvelles du cosmos

Une fois n’est pas coutume, je vais vous parler d’un film, une pure merveille. Un documentaire (bande-annonce ici) sur une personne extraordinaire qui nous a scotchés sur nos fauteuils, tous les spectateurs du cinéma où je viens de le voir, le Luminor, derrière le BHV. Cette personne s’appelle Hélène Nicolas. A première vue, elle ressemble à s’y méprendre à une handicapée mentale profonde. Elle en a tous les symptômes : elle est très mal assurée dans sa marche, elle ne se sait pas bien se servir de ses mains, elle vous considère d’un air béat, bouche ouverte, en riant à l’occasion, ou en se mordant le poignet quand elle n’est pas contente. Et surtout, elle ne parle pas. Elle mange la bouche grande ouverte, se trimballe avec une grosse bouée imprimée pneu autour d’elle. Elle semble avoir 15 ans, un an d’âge mental mais en a trente.

Cette jeune femme a été diagnostiquée autiste très déficitaire dans son enfance. Sa mère n’a jamais pu avoir de contact avec elle. Comme elle dit : elles ne se connaissaient pas et ne se reconnaissaient pas. La fillette ne touchait rien, passait la main au-dessus des objets, ne se servait de ses mains que pour attraper ses aliments. L’institution spécialisée n’a rien pu faire pour elle. Aucun progrès. A 14 ans, elle est devenue dépendante de sa mère qui a quitté son boulot pour lui apprendre des choses. Quoi ? On ne sait pas, elle ne sait pas mais à force de la stimuler, elle a réussi à trouver le chemin de la communication. Très lentement. Hélène s’est mise à écrire, toute seule, des mots qu’on ne lui a jamais enseignés avec des lettres qu’on ne lui a jamais apprises. Sa mère, une belle blonde fine et rieuse, ne peut rien expliquer. Peut juste aider sa fille à aligner des petites lettres en carton, rangées dans une boîte à cases, pour faire des phrases. C’est long, les lettres sont de traviole, toutes les trois lignes il faut remettre les lettres dans les cases pour continuer. Mais ce qu’on lit, ce qui sort de « la boîte à penser » ou du « cornichon de cerveau » d’Hélène est bluffant. Par exemple :
« Sortir de ma bulle pour entrer dans le cercle aux limites domptées depuis la nuit des temps par le géocentrisme indélébile. Pourquoi ? »
« Opaque lecture, nourricières des uns, meurtrières des autres, avec la même croyance du droit à l’existence. »
« Dans la folie de l’obéissance d’être en vie, j’accuse la gourmandise jubilatoire de mon cerveau de m’inonder du désir impalpable de jouer avec les lettres et raconter l’invisible qui vit en moi. »

De ses textes, des gens de la scène ont créé un spectacle où se mêlent voix, musiques, sons, installations mobiles, lettrages… présenté à Avignon et ailleurs. Et aussi des chansons. Un beau succès. C’est qu’on a affaire à une splendide poétesse métaphysico-surréaliste qui rit en écoutant les autres dire ses mots. Elle jubile. On s’attache, on a envie, comme un mathématicien auquel elle a posé une colle vertigineuse, de caresser ses joues pleines, de se faire imprimer par son regard intense qui ne cille pas et en dit long sur son pouvoir d’incorporation de l’autre, et de lui faire des guilis.
Ce film, dernières nouvelles du cosmos, est l’un des plus beaux que j’aie vus. Jubilatoire, enthousiasmant, extraordinaire. Après, je me suis ruée au BHV pour acheter son livre : Algorithme éponyme.
Son nom d’artiste est Babouillec.
Elle ne fait jamais de fautes d’orthographe.
Le film est de Julie Bertuccelli.
Il se joue dans peu d’endroits. Il va passer à Ivry dès mercredi, au Luxy. Et j’espère ailleurs.
Une pure merveille, vous dis-je.

Algorithme éponyme et autres textes de Babouillec, 2016 aux éditions Payot et Rivages. 140 pages formidables, 15 €.
Dernières nouvelles du cosmos, film de Julie Bertuccelli.

Texte © dominique cozette

Fêter Perec et se régénérer

 

Le texte est un monovocalisme en e, c’est-à-dire qu’il est écrit en n’utilisant que la lettre e comme voyelle. Comme dans les revenentes de Perec, un maître. Ou un mètre ?

Je crée et je t’emmerde.
Créer, c’est… rêver ?
Elle se rêve en vedette,
en fée de best-sellers, les recettes et le sceptre
les étrennes en été, les fêtes et les télés
et les verres de Xéres, les crèmes renversées
les kermesses éternelles…
Elle espère, elle espère, et elle stresse.
Créer, créer, créer… elle reste tellement sèche,
et elle se désespère.  C’est l’échec.
Créer, pense-t-elle, créer c’est s’emmerder,
Merder, se débecter. Nettement, bêtement.

Hé ! Revenez, mes pensées !
Sellez mes zèbres, vengez mes errements
prenez mes encres d’ébène…
Hé, descellez mes lèvres,
Désherbez mes déserts, décélérez le temps !

Revenez, mes pensées !
Déchevêtrez les rêves, ensemencez l’éden !
Ferrez les fées fêlées, mêlez belles et bêtes
gentlemen éméchés tête-bêche. Et péchez !
Créez, persévérez.
Elle pense : créer c’est s’entêter, s’endetter,
Et tester. C’est … tenter !

Hé ! T’entends ? Créer c’est tenter !
Desserrer des fesses, lécher des verges,
détendre des sexes et les pénétrer,
délester en des gerbes le sperme fermenté,
entremêler les femmes, les pédés et les nègres,
les esthètes rebelles.
Déverser des ventrées de sentences démentes
des pelletées de textes et de vers zélés
verbe et verve en même temps.
Elle pense : hé hé, je crée, hé hé, je me démerde,
et je me régénère! Défense de cesser !

Eh !  Les décérébrés, les pète-sec vénères,
les empestés d’encens, de prêche et de versets !
Hé ! Benêts délétères excédés et replets,
hébétés éphémères, brêles dégénérées !
Hé ! Spectres desséchés, très chers frères éventés,
tremblez de senescence, bêlez et végétez,
dépendez les emblèmes, fermez les temples blêmes.

Et crevez en enfer.
Je crée et je t’emmerde.

Texte et illustration © dominique cozette

L'émouvante Sylvie Blocher, artiste des gens

Voici une artiste formidable dont Le Monde choisit de nous parler seulement à la fin de l’expo, c’est dingue. Donc c’est jusqu’à samedi si vous êtes près de Sète : elle est for-mi-da-ble. Beaucoup à lire, beaucoup à voir. Elle se définit, sur son site (voir ici) comme vidéaste. Les vidéos sont pour la plupart des personnes de tous pays filmées plein pot, parfois dédoublées en split screen, parfois assorties à un fond pantone de différentes couleurs de peau s’ils parlent de ça.
Mais il y a aussi beaucoup à lire, ce qu’elle a capté des gens et qu’elle a retranscrit d’une belle calligraphie en capitales, sur un fond de peinture verte d’ardoise. Je n’ai pris que peu de photos et l’article qui suit est celui du Monde d’hier soir alors que l’expo — dans ce superbe et immense lieu qu’est le CRAC de Sète — tire à sa toute fin…

Sur deux murs, pleins de unes de Libé repeintes en vert ardoise, avec juste un détail ou un mot laissé apparent, puis un commentaire de l’artiste sur l’actualité ou une réaction.

Article du Monde : Tous les artistes n’ont pas cette grâce, de toucher le public en son âme et conscience. Sylvie Blocher est de ceux-là. A fleur de peau, au sens noble : poreuse au monde, attentive à toutes les marges, une plasticienne intranquille, qui, depuis plus de trente ans, travaille sans relâche, d’installations vidéo en expériences urbaines. Pourtant, la France l’a négligée, quand les étrangers la réclament. Trop sensible, trop engagée dans le champ social ? A observer les visiteurs bouleversés de son exposition au centre d’art contemporain de Sète, on comprend ce à côté de quoi l’Hexagone est passé. Héritière du black power d’Angela Davis comme d’Edouard Glissant et de sa théorie du Tout-Monde, cette influente professeure aux Beaux-arts de Cergy fonce tête baissée sur tous les potentats : machistes du modernisme ou mafia chinoise de Toronto, rien ne lui fait peur. Sa caméra pour toute arme. Guerrière ? « On me l’a assez reproché », s’amuse-t-elle, le regard brûlant de curiosité autant que d’anxiété, quand nous la rencontrons dans son atelier de Saint-Denis.

« Avez-vous une idée pour changer le monde ? » Il y a un an, Sylvie Blocher a publié cette petite annonce dans un journal du Luxembourg, pour une exposition au Mudam, musée d’art contemporain luxembourgeois. « Sur cent personnes, à peine cinq avaient de bonnes idées, les autres étaient dans la plainte et le désespoir », constate-t-elle alors.

Qu’à cela ne tienne, elle invite ces anonymes, comme elle le fait pour chaque exposition. Dans le hall du musée, elle a construit un mécanisme d’acrobate, filins et harnais, qui les propulse à douze mètres du sol. Elle les filme. Leurs envolées ouvrent l’exposition sétoise, sur quatre écrans. « Ils étaient dans un moment très particulier entre eux et leur corps, raconte-t-elle. Certains étaient dans une joie inouïe, d’autres hurlaient ou lâchaient prise.Une jeune femme, rwandaise, s’est envolée dans un cri de douleur, revivant son trauma. Elle m’a confié après : “Avec vous, j’ai lâché les morts”. » Des mots qui remuent cette enfant des années 1950, dont tout le travail consiste à comprendre « comment la modernité, qui a produit tant de choses magnifiques, a pu s’effondrer avec les exterminations de la seconde guerre mondiale ». Depuis son premier projet, consacré à Nuremberg, elle s’efforce de faire en sorte qu’à travers ses films, « l’histoire nous affecte et nous déplace, qu’elle ait une résonance intime et complexe, afin que jamais elle ne se reproduise ».

Utopies défaites

Cela la conduit auprès de tous les oubliés. Par exemple, ces adolescents des favelas de Rio, qu’elle fait défiler : « Je leur ai juste demandé de regarder ce vide effrayant qu’est la caméra, en pensant à ce qu’ils aiment ou haïssent le plus au monde. » Frêles madones ou musculeux voyous, ils sont à Sète en majesté, stupéfiants de fierté. « Ils nous disent : “je suis là” ». Claque, également, la série de portraits vidéo consacrés à « ces discours qui nous ont promis le bonheur, et ont échoué », d’Obama avant son élection aux utopies d’ultragauche… Une slameuse russe clame Le Capital de Marx ; à ses côtés, une cantatrice chante la convention de Genève, qui revendique un droit universel des réfugiés. Une façon, selon l’artiste, « de délivrer le discours politique afin que, d’un coup, on l’entende ».

« Donner aux gens une autre place que celle qu’on leur a allouée, les emmener ailleurs. » Elle n’a pas d’autre ambition. Qu’elle déconstruise le discours de l’identité américaine en le faisant revisiter par Indiens, Blacks et Chicanos ou qu’elle imagine, avec son association Campement urbain, le plan d’une ville australienne à partir des désirs de ses habitants, sa méthode est toujours la même, « capter la parole, jusqu’à ce que quelque chose se passe ». C’est le secret de cette exposition à Sète, exceptionnellement populaire. (voir photo ci-dessous)

Pendant un mois, Sylvie Blocher a accueilli les habitants, leur demandant « d’offrir quelque chose au centre d’art ». Un homme est venu des Cévennes pour lui confier « l’histoire de cette Marianne qui ne [l]’aimera jamais », et avouer « aujourd’hui, vous êtes Marianne, je vous offre ma présence ». Un pêcheur se souvient des trois baisers de sa mère quand il sortait du port, un ancien évoque la guerre d’Espagne. Elle accepte tous les récits, fous ou anodins. Puis retranscrit sur les murs, à la main, ces confidences. « Comme des fictions, qui nous permettent de regarder le monde différemment. » Un quidam est venu avec ces mots, empruntés à Nietzsche : « Il faut du chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse. » On ne saurait mieux la définir.

« S’inventer autrement – Sylvie Blocher », Centre régional d’art contemporain, 26, quai Aspirant Herber, Sète. Tél. : 04-67-74-94-37. Du mercredi au lundi de 12 h 30 à 19 heures, le week-end de 14 heures à 19 heures. Jusqu’au 31 janvier. crac.languedocroussillon.fr

Pour la peau de Dimitri Tsykalov

Skin est le titre de l’impressionnante exposition du plasticien russe Dimitri Tsykalov à la très belle galerie rabouan moussion.

Skin comme les peaux de bêtes collectionnées par les chasseurs de fauves.

Car c’en sont, des peaux de bêtes. De lourdes peaux en bois massif issu du démontage des caisses d’armes et de munitions que nous, comme les autres puissances mondiales, charrions d’un continent à l’autre, d’une guerre à l’autre, d’une chasse à l’autre au gré de notre terrible propension à détruire. A tirer sur tout ce qui bouge. Des caisses en provenance du monde entier — Allemagne, France, Angleterre, Russie, Etats-Unis, Chine, etc. —, de toutes les couleurs, où les calibres, les composés de TNT, la chimie des explosifs s’écrivent dans tous les alphabets.

Le propos de l’artiste est  d’exorciser les carnages massifs dont l’homme est l’organisateur. Une exposition antérieure montrait des sculptures guerrières, armes et engins d’attaque à base de chair, de viande quoi. Et quand on abhorre les tueries, on est généralement sensible à ce que la nature nous offre et au mal qu’on lui fait. En ce sens, l’artiste a réalisé aussi d’éphémères œuvres, des vanités, à base des fruits de la terre, végétaux, fruits, légumes, conservées en l’état de photographies.

On peut parler aussi de son idée de l’argent dont il détricote les ficelles dans une collection déjantée de cartes de crédit géantes en … tricot. De celle où il fait feu de tout bois avec ses installations et ses vêtements en  bois justement. Mais le mieux n’est-il pas d’aller s’en prendre plein les mirettes à la galerie ou, pour ceux qui ne peuvent pas, de rendre visite à son site ici aux pharamineuses inspirations ?

Pour finir, une immense planisphère en relief —  toujours avec les fameuses caisses d’armes et munitions —  qui nous met en présence de cet intense trafic mondial d’engins de destruction qui circulent, se croisent, se posent, se volent, et continuent de se vendre en dépit de tout bon sens…

Skin de Dimitri Tsykalov à la galerie rabouan mousson lien  ici (les photos y sont beaucoup plus belles que sur ce blog). Vite ! C’est jusqu’à samedi 16 janvier 16. 11 rue Pastourelle, 75003 Paris.

Texte et photos © dominique cozette

 

Robillard, fabricant d'armes brut

Hier, nous nous sommes rués au vernissage de l’expo d’André Robillard, une des plus importantes figures de l’art brut. J’avais envie de le voir, de lui parler, c’est drôle cette espèce de fan-attitude qui me vient pour certaines personnes. Mais il le vaut, c’est un être génial, un artiste simple, un bonhomme aux petits plaisirs immenses. Il vient d’avoir 84 ans.

Sur le boulevard Saint-Germain, je repère tout de suite sa petite tronche de cacahuète et je me précipite sur lui comme une ado pré-pubère sur Justin Bieber. Il est minuscule, tout fin, on a l’impression qu’il peut s’envoler au vent mauvais. Il porte une casquette US (« c’est quoi ces plantes ? Des auriers ? Il parle de la branche de laurier brodée dessus. Il a des façon de dire les mots assez rigolote.). Puis il rentre, il y a encore peu de monde, s’assoit à l’immense table centrale. Il échange avec une femme (impassible, alors qu’il est si drôle) qu’il connait depuis 20 ans. Chaque fois qu’ils évoquent une relation, il cite son adresse complète. Il adore papoter, se raconter, il a un verre dans la main qu’il ne pense pas à vider. Il n’a pas l’air de réaliser qu’il est un artiste si important, s’étonne encore que Dubuffet ait pu s’intéresser à lui, parle de la photo d’eux deux qu’il a affichée dans son atelier à l’hosto. Il me raconte que deux personnes s’occupent de lui, son secrétariat en quelque sorte. Il demande quand a lieu son vernissage.

Il a quand même toute sa tête, celle qu’il avait enfant lorsqu’il a intégré, à l’âge de 9 ans, l’hôpital psychiatrique (il dit sichiatric) près d’Orléans. « J’étais un peu nerveux, je cassais des chaises, alors mon père m’a emmené là pour que j’apprenne à lire et à compter ». Là, il n’a pas fait grand chose avant la trentaine où on lui a confié des travaux simples. C’est alors qu’il s’est mis à récupérer des tas d’objets et qu’il a fabriqué des armes « pour tuer la misère ». Une armada. Grâce à Dubuffet, il a été reconnu et a été exposé au musée de Lausanne, le musée de l’art brut. De là, son aura a rayonné dans le monde.

Il n’a plus jamais arrêté d’accumuler, de scotcher, de peindre, de découper. Il dessine aussi, c’est superbe. Et il joue de l’accordéon et de l’harmonica. Des films ont été réalisés sur lui, c’est ainsi que je suis tombée en amour avec ce petit être touchant et créatif.
J’ai eu du mal à choisir parmi les pistolets, il sont tous plus beaux les uns que les autres.  Ils possèdent tous une boîte de Ninas servant de chargeur, et dans chacune d’elles, il a glissé des petits trucs personnels, paraît-il. Réservés à la personne qui aura l’objet. Je saurai fin décembre ce qu’il y a caché.
Très intéressé par l’univers, il fabrique planètes, spoutniks, fusées et engins interplanétaires. Ses cosmonautes géants sont de bien beaux personnages. Quant à ses magnifiques kalach’, elles ne feraient pas de mal à une note de musique. Sacré Dédé ! C’est bientôt la sainte André, il en est tout content.

André Robillard expose à la galerie-librairie Nicaise (lien ici ), 145 bd Saint Germain 75006 . Jusqu’au 31 décembre.

Texte © dominique cozette. Photos © catalogue et L.S

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