Un bref instant de splendeur

Un bref instant de splendeur pourrait aussi qualifier le temps qu’on a pris à lire cette histoire de Ocean Vuong. Cet auteur est principalement un poète, c’est son premier roman, empreint de pure poésie frôlant l’impressionnisme. C’est extrêmement virtuose, avec des sauts, des coupes, des ellipses, parfois au détriment d’une compréhension paresseuse mais chaque fragment irradie d’éclat, une parcelle de ressenti, une traîne de sentiment ou de ressentiment. Et il y a de quoi. Le narrateur est un jeune métis, petit-fils d’un GI et d’une paysanne vietnamienne qui a elle-même mis au monde une fille, mère du garçon, analphabète, paumée, violente et aimante à la fois pour ce môme avec qui elle partage sa pauvre vie aux Etats-Unis. Elle travaille dans une onglerie. La grand-mère quant à elle est schizophrène mais attachée à ce garçon. Elle vit toujours avec américain, ex GI lui aussi qui sert de grand-père au garçon : elle était enceinte de quatre mois quand ils se sont mis ensemble.
Ce livre explique la construction du garçon qui n’a jamais trouvé sa place. Déjà, son métissage l’empêche de faire partie d’un des deux camps, trop clair pour être asiate, trop foncé pour être américain. Il y a ce racisme de base, mais aussi le rejet dû au fait que sa mère, ou sa grand-mère, a couché avec l’ennemi. Puis il y a aussi un problème de classe sociale et son plafond de verre, qui lui faut assumer coûte que coûte. Et enfin, dernière malchance pour lui : il s’aperçoit très tôt qu’il est gay. D’autres, en classe, s’en sont aperçus en même temps que lui et le harcèlent cruellement. Il s’appliquera alors à devenir invisible, à ne pas exister pour les autres.
Dans ce marigot peu accueillant, il va toutefois rencontrer, durant son adolescence, un jeune garçon blanc et, ensemble, ils vont tracer leur voix, irrégulièrement, secrètement. Le partenaire vit avec un père violent et alcoolique dans un vrai taudis. C’est quand le bonheur ? peut-on se demander à juste titre. On se doute que ce n’est pas pour demain… Certains passages sont magnifiques, encensant le naturel, le beau, d’autres sont crus, comme la souffrance animale et les premiers rapports sexuels des deux garçons. Néanmoins, ce texte déborde de tendresse et d’émotion.
J’ai passé sur la chose la plus importante : le livre est une lettre qu’il écrit à sa mère, pour lui dire tout ce qu’il ressent, ce qu’il ne lui a jamais dit, ni raconté, ni avoué. parfois, le ton de la lettre disparaît pour nous laisser en prise directe avec ce qu’il ressent. Malgré tout, c’est une confession à la fois pleine de pudeur et dérangeante, et le plus fort, c’est que sa mère ne la lira jamais, puisqu’elle se sait pas lire, qu’elle est très seule et qu’à part son fils, personne ne communique réellement avec elle. Ça m’est difficile d’en dire plus car si le fond est prenant, la forme tient une grande place dans l’intérêt pour ce livre et je ne sais pas vraiment développer. Arghhh…

Un bref instant de splendeur (On earth, we’re briefly gorgeous 2019) de Ocean Vuong. 2021 aux éditions Gallimard, traduit par Marguerite Capelle. 290 pages, 22 €.

Texte © dominique cozette

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