Ma vie Manœuvre comme il dit

Après Rock (voir ici) où Philippe Manœuvre nous raconte, très partiellement, sa vie de dingue et de patachon, voici son dernier opus, Flashback Acide, où il nous narre d’autres épisodes mais en plus « poudrés » car tous axés sur les excès de dope qui ont jalonné son immense parcours de critic rock presse-TV, écrivain et rédac-chef, et il écrit tellement bien, une punchline toutes les lignes, que c’en est un régal. Pour ceux qui ont le rock dans le sang. Même si je suis de la demi-génération du dessus, on a beaucoup en commun à commencer par les pionniers, puis les Stones etc… et même si je n’ai pas fréquenté ouitivement la plupart des artistes cités ici, on s’amuse beaucoup à imaginer ces énormes frasques.
Il avertit au début du livre qu’un fan de son bouquin Rock lui avait dit qu’il avait trouvé ça  bien sage, ajoutant  « mais je comprends, aujourd’hui, on ne peut plus parler de rien ». C’est de là qu’est parti son bouquin. Donc merci le fan !
Le livre n’enfile pas que des épisodes. Chaque chapitre est dédié à un thème ou une personne en particulier, c’est net, c’est carré mais pour autant, pas square du tout. Donc il va être question de champignons, LSD, coke, speed, whisky, bitures, trips, descentes, morts… Philippe tient à nous informer qu’il a cessé alcool et coke depuis plus de vingt ans. (Mais pas la fumette occasionnelle et certaines occasions de champignons).
Le premier chapitre s’intéresse aux Scorpions qui vont entraîner notre journaliste à un trip extraordinaire en Russie, pour commencer leur amitié, car bien plus loin ensuite. Puis avec Virginie Despentes, ils vivent ensemble à ce moment-là, ils vont aller goûter de terribles champi à Amsterdam. Un chapitre sur joies et misères de la cocaïne (NB : PM met les vrais noms des protagonistes avec leur accord, on sait à qui on a affaire, c’est plus facile de les imaginer).
Puis vie et mort d’un certain Lemmy, personnage extraordinaire qui fut, principalement, bassiste insensé de Motörhead. Trois chapitres différents sur la dope, l’un est un musée suisse de ouf, l’autre une convention hors normes du LSD et le dernier, mais pas le moindre, la cannabis cup. Là, on plane dru du matin au matin suivant. Hallucinant, si j’ose ce mauvais jeu de mot.
Un beau, oui, chapitre sur Bowie qui ne fut pas le dernier à en user grave de chez grave. Et quelques autres plongeons dans sa mémoire riche de quarante années d’assiduités nocturnes dans le bain bouillonnant du rock et du punk. Edifiant !
Tout ça tissé d’humour overdosé, de name dropping à l’excès, de révélations ébouriffantes (ou pas pour les connaisseurs fidèles), de réminiscences farfelues, d’indiscrétions posthumes, dans un style explosif, volcanique et jamais poncé à l’émeri. Du glitter, de la fulgurance, bref le rock’n drôle de Philman !

Flashback Acide de Philippe Manœuvre, 2021 aux éditions Robert Laffont. 270 pages, 19,90 €.

Dope, crack, speed, beuh, substances, came, meumeu bref, toutes les drogues

Cécile Guilbert, journaliste des profondeurs investigatrices, s’est emparée à bras le corps de l’univers des drogues, toutes les drogues, dans son pavé (plus de 1400 pages) Ecrits stupéfiants sous-titré Drogues & littérature d’Homère à Will Self.  Et des écrivains et poètes, qu’on peut mettre parfois au féminin, qui ont tâté de la chose et l’ont décrite, il y en eut ! Elle en a recencé 220, avec plus de trois cents textes dont elle a retranscrit les morceaux choisis. C’est un fantastique voyage dans le temps et l’espace et leur imaginaire. De l’Inde védique à notre époque avec ses drogues de synthèse, Cécile Guilbert évoque les pharmacopées antiques et moyen-âgeuses, l’opiophagie britannique, le cannabis romantique, l’opiomanie coloniale, la morphine et les éthéromanes, les junkies et la révolution psychédélique du siècle dernier jusqu’aux actuels psycho-stimulants et autres innombrables inventions chimiques.
Elle a catégorisé les quatre grandes familles de drogues : Euphorica (opium, morphine, héroïne), Phantastica (cannabis, plantes divinatoires, peyotl et mescaline, champignons hallucinogènes, LSD), Inebriantia (éther, solvants), Excitantia (cocaïne et crack, amphétamines, ecstasy, GHB). Chaque drogue y est décrite minutieusement, d’un point de vue médical souvent, avec les expérimentations d’utilisateurs plus ou moins connus, puis accompagnée des extraits de textes ou de poèmes s’y rapportant.
Ce livre est une encyclopédie unique qui n’existe en aucune autre langue. Une entreprise titanesque.
On y apprend beaucoup de choses. Sartre, pour ne donner qu’un exemple : il prenait de l’Orthédrine et du Maxiton (noms commerciaux de la benzédrine), de la Corydrane (pour écrire de longs ouvrages), plus le reste : deux paquets de Boyard maïs, de nombreuses pipes de tabac brun, plus d’un litre d’alcool (vin, bière, alcools blancs, whisky…) sans compter les cafés, thés et graisses animales de son alimentation. Sartre avait dit à Yves Salgues (qui s’adonne à la Préludine pour écrire ses ouvrages de 2000 pages) que son texte sur Saint Genet, comédien et martyr (1952) était passé de l’état de préface à celui de pavé grâce à la Corydrane.
Dans ce livre, on retrouve avec plaisir tous nos chers écrivains américains, aussi bien de la Beat Génération, Buko, que les plus proches de nous comme Tom Wolfe, Breat Easton Ellis. Des Français aussi, de nos grands classiques à nos écrivains familiers, qui sont nombreux !
Le livre s’ouvre sur un assez long prologue biographique de l’autrice. Elle y a tâté, bien sûr mais en a souffert des méfaits par la mort de proches. Il s’achève sur une quarantaine de pages bibliographiques, soit des centaines d’ouvrages dont de très nombreux en anglais non traduits, puis par un index détaillé. Une bible, quoi.
Passionnant, foisonnant, distrayant. A lire en petites tranches car les récits planants lus à la suite peuvent devenir lassants.

Ecrits stupéfiants sous-titré Drogues & littérature d’Homère à Will Self de Cécile Guilbert. 2019 aux éditions Bouquins de Robert Laffont. 1440 pages. 32 €

Texte © dominique cozette (aidée de la quatrième de couv.)

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