En poche, City on fire de Garth Risk Hallberg* pèse 1240 pages (688 grammes). Une paille. Une recherche du temps perdu en plus concentré. Un pare-insomnies qui réveille en fanfare. Un truc qui plombe le sac et les bras. Un pavé, quoi, qui raconte une petite vingtaine de personnages entre 1976 et le black out de 1977, des gens aux antipodes qui n’auraient pas dû se rencontrer mais NY c’est comme le monde d’aujourd’hui, c’est petit, et on finit toujours par tomber sur quelqu’un d’indésirable. Ou d’aimable. Ou d’importun.
Ça commence par un jeune gars de 17, Charly, puceau tout mignon, qui se planque de sa mère pour rejoindre sa chérie, Sam (Samantha), jeune punkette beaucoup plus délurée qu’il ne l’imagine, ayant déjà vu le loup, et quel loup !, et goûté aux plaisirs des trips à plusieurs dans un squatt qui pue la crotte de pigeon. Ce n’est pas rencart officiel, et c’est pour cela qu’il ne la verra pas dans la boîte où joue les rogatons d’un groupe décadent dont tous les membres interlopes ont chacun leur histoire, minutieusement narrée dans un coin du bouquin. Donc, il la loupe parce qu’elle a autre chose à foutre, peut-être revoir ce vieil amant de 35 balais qui la baise mieux que ces petits cons speedés mais qui ne veut plus d’elle car sa femme l’a su et l’a jeté. Sa femme, Regan, qu’il aime encore et ses enfants, sa femme fille d’un richissime entrepreneur sur le déclin dont profite sa nouvelle jeune femme et son frangin, frère Démon, pour prendre la tête de l’affaire juteuse.
La petite Sam est fille d’un artisan artificier de père en fils, immigré. Hallberg en profite pour nous raconter tout tout tout sur ce boulot très technique (source : Bill Plimpton, hé oui) par l’intermédiaire d’un journaliste Gonzo qui va farfouiller comme nous dans ce fatras new-yorkais pour trouver qui a tiré sur Sam à Central Park, la laissant se vider de son sang et que l’on retrouve comateuse à l’hosto.
Il y a aussi l’autre héritier du richissime entrepreneur, William, qui a préféré se barrer de chez son père lorsque celui-ci a épousé l’usurpatrice. C’est lui qui a monté le groupe punk dont il sera question dans le livre, puis, lui aussi dépossédé de sa formation par ses musicos, deviendra plasticien miséreux. Puis introuvable lorsqu’il quitte sur un malentendu son amant Mercer, un brave mec black, jeune prof et écrivain en puissance.
Ce roman est dense, donc, et sous le prétexte de retrouver la personne qui a tiré sur Sam, il nous emmène dans les coins sombres de la ville avant de nous hisser sur le toit du richissime, mais nous en resdescend aussi sec car c’est en bas que l’on trouve les ingrédients du récit, qu’il découpe en sept livres et plein de petits chapitres, entrecoupés de « documents » tels que l’article sur l’artificier parce que père de Sam dont les journaux ont parlé, extraits du fanzine de celle-ci qui lui permet de remonter jusqu’à son petit gang du squatt, lettres relatant des histoires de famille etc.
Je vous le dis tout net : c’est passionnant même s’il faut parfois s’accrocher, 1200 pages, c’est pas rien. Mais ça vaut le coup. C’est une superbe balade dans la ville qui ne cesse de pulser.
City on fire de Garth Risk Hallberg, 2015 , traduit pas Elisabeth Peellaert. Au livre de Poche, 1240 pages, 12 €.
* Il a écrit un drôle de livre d’art dont j’ai parlé en juin dernier. A voir ici.