L’amitié pas forcément

Le goût de la trahison, le titre du roman de Stéphanie Chaillou, a des chances de nous emporter sur une fausse piste au sujet de l’amitié, thème du livre. Car il ne s’agit pas de trahison mais plutôt d’un glissement des sentiments.
C’est l’histoire très banale d’une petite famille de classe moyenne, Marc est cadre à Nantes dans une cimenterie, ils ont deux enfants et ils passent la plupart de leurs week-ends et des vacances dans la petite maison de Noirmoutier de son enfance. Rien que du très banal et routinier : les courses, la crêperie, la glande, la plage, l’apéro au bistro du port et, pour lui, le tennis, sa passion. Tout est réglé comme du papier à musique.
Puis un jour, dans sa boîte, débarque un collègue, Paul, en tout point semblable ou presque, qui possède aussi une maison proche de la leur à Noirmoutier, mais plus grande, plus bourgeoise, comme eux. Ceux-là n’ont pas d’enfants. Les deux hommes se rencontrent au club de tennis où ils excellent pareillement. Entre eux vont se tisser des liens de connivence, d’intérêts communs, et aussi d’amitié. Les couples se fréquentent régulièrement, assidument même, tout semble aller pour le mieux. Tout le livre est construit sur cette entente parfaite sans aucun pathos à l’horizon. Hormis le fait que la femme de Marc remarque qu’il passe plus de temps avec Paul qu’avec elle. Et puis, peu à peu, quelque chose va dérailler, les amis de Marc qu’il se fait un plaisir de présenter, détonnent par rapport à Paul, problème de langage, de classe, puis d’autres détails insignifiants mais qui comme on le dit, constituent la présence de diable, vont faire que tout cela va déraper.
C’est super bien écrit, très factuel, sans intention de créer de suspense, très nuancé donc, avec un beau talent pour faire exister Noirmoutier, sa lumière, ses paysages, ses odeurs etc… Le sort leur amitié est d’autant plus dur que l’ambiance de cet endroit est douce. Très beau livre.

Le goût de la trahison par Stéphanie Chaillou, 2024 chez Notabilia. 192 Pages 20,50 €.

Je rajoute un second livre dont je ne sais pas bien parler…
Barbara Cassin est, entre autres, philosophe, écrivaine et académicienne. Le titre étrange de son livre Le bonheur, sa dent douce à la mort est une citation d’Arthur Rimbaud et le sous-titre de cet écrit est autobiographie philosophique. Je nai bien sûr pas compris grand chose quand il a été question de philo, sauf que sa façon d’écrire est formidable, vivante, voire rock’n roll et que j’en ai apprécié un grand nombre de passages. D’ailleurs j’ai noté cette phrase qui me définit bien au sujet de cette lecture (et peut-être même en général) « Je ne sais plus ce que je comprends et je suis submergée, en grande partie, par ma bêtise d’aujourd’hui ».
Comme je ne saurais le faire, je vous copie le résumé fait par Babelio : « Vous avez les plus belles jambes du monde, vous serez ma femme ou ma maîtresse. Voilà ce qu’est devenu l’amour de ma vie. Moi, épouser un Juif, jamais ! Barbara juive ? Tais-toi donc mon garçon, elle est si gentille. Avec un instinct sûr, vous choisirez votre siège. Vous prenez votre petit déjeuner à la table de ce nazi ! Comme c’est gentil de me reconnaître, Jacques Lacan. It’s no greek ! Madame, Madame, j’ai compris l’étymologie de concierge. À partir de combien de livres est-on cultivé ? Que pensez-vous de ce que vous voyez ? J’aime quand tu as le corps gai. Arrêtez de le regarder, laissez-le partir… Ces phrases font passer de l’anecdote à l’idée. Elles sont comme des noms propres qui titrent les souvenirs. Elles fabriquent une autobiographie philosophique, racontée à mon fils Victor et écrite avec lui. En les disant, je comprends pourquoi et comment elles m’ont fait vivre-et-penser. Si dures soient-elles parfois, elles donnent accès à la tonalité du bonheur.Un travail mère-fils qui fait redécouvrir Char, Heidegger, Lacan, la Grèce, l’Afrique du Sud, la Corse, les juifs, les cathos, des Hongrois, des Allemands… Avec Ulysse en figure de proue, l’homme d’Homère qui passe là où il n’y a pas de passage, entre Hélène qui ravit et Barbara bla-bla-bla. »
Ça doit être un régal pour les amateurs de philosophie !

Le bonheur, sa dent douce à la mort de Barbara Cassin, 2020 au livre de poche, 228 pages, 7,40 €

Texte © dominique cozette

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