Oui, Impunité c’est le titre du livre d’Hélène Devynck qui a été violée par PPDA, une journaliste qui a décidé de montrer comment le viol en entreprise est une institution systémique, protégé donc par le système (patriarcal of course) qui ferme si bien les yeux sur ce que subissent les femmes, ici, en tout cas. Car « à partir d’un certain niveau de célébrité, aucun Français n’a jamais été condamné pour des faits de délinquance sexuelle. Jamais. Aucun. » Classé sans suite.
(J’ouvre une parenthèse pour évoquer DSK, mais c’est en Amérique). Et de citer les femmes qui ont eu le courage de porter plainte contre ces personnes connues. Rien. « Le harcèlement prospère parce qu’il est autorisé, parce qu’il indiffère ou qu’il amuse mais aussi, comme le résume […] Jacqueline Rose, parce que le harcèlement sexuel est la performance masculine par excellence, l’acte par lequel un homme vise à convaincre sa cible non seulement qu’il est l’unique détenteur du pouvoir (ce qui est vrai) mais aussi que son pouvoir et sa sexualité sont une seule et même chose. » Sûrement pour cela que PPDA n’a pas nié avoir eu ces relations. Il s’assure juste que la personne est libre (à toutes il demande si elle est en couple). Et qu’elle est disponible.
L’autrice a fouillé un peu partout pour montrer comment se construit et perdure cette violence sur les femmes, pourquoi la plupart ne peut pas se défendre, avec exemple à l’appui de l’effet de sidération, et la complaisance des deux secrétaires qui ne pouvaient vraiment pas ignorer ce qu’il se passait, en cinq minutes pas plus, dans le bureau du boss.
Hélène Devynck a réussi à entrer en contact avec une vingtaine de violées et classées sans suite pour qu’elles témoignent dans ce livre. Toutes racontent la même scène, un viol (sexe, doigts ou fellation pour les malheureuses anorexiques dans la bouche desquelles il éjacule, parfois sous le portrait de sa fille anorexique suicidée). Elle montre que la justice ne répare pas, les classements sans suite étant la règle la plus courante, dissuadant les autres victimes de porter plainte. Ces hommes qui violent, eux, ne le font pas dans l’angoisse, ils font ça tranquillement parce qu’ils le peuvent et qu’ils seront impunis. La journaliste raconte que dans son métier, elle a révélé des scandales de la Vème république et n’a jamais vu l’ombre d’une rétorsion. Ah mais ici, quand il s’agit de viol, les accusés attaquent à leur tour pour diffamation. Elle sait bien que ce livre peut en entraîner car comment prouver qu’elle et toutes les autres)ont été agressées. Aucune ne s’est précipitée chez un médecin ou n’a conservé le sperme (ce qu’avait fait la stagiaire de Clinton, souvenez-vous, mais on est aux Etats-Unis).
On apprend qu’en Australie, respectueuse de la parole des femmes, lorsque l’une d’elle porte plainte pour viol, il est interdit de fouiller son passé et sa vie privé, ce qui signifie qu’aucun comportement de femme ne légitime violence qu’on lui fait subir. Ce qui est très loin de ce qui se passe chez nous puisque la violée à très souvent eu un comportement qui bla bla bla, ce qui fait la part belle aux avocats de l’accusé.
Un fait bizarre aussi est rapporté aussi. Vous imaginez le nombre de lettres qu’a reçues PPDA durant sa carrière, des dizaines de milliers, peut-être plus, mais il a réussi a montrer au juge qui prenait sa déposition des mots, des cartes et des lettres des plaignantes (qui avaient eu besoin de son recours ou avaient dû se plier à des rituels de politesse durant leur collaboration avec lui), qu’il avaient gardées et classées, évidemment/ Mais qui fait ça ? Et pourquoi ? Et comment, dans cette avalanche de paperasse ? En pensant que ça lui servirait au cas où ? Va savoir.
Une dernière chose aussi : une femme, madame K., a réussi, après une bataille de vingt-deux ans, a faire qu’une femme accusée de diffamation peut elle aussi compter sur la présomption d’innocence (je résume, mais c’est extrêmement important pour les victimes).
Ce livre est très riche, prenant, écrit dans l’urgence et ça se ressent. Mais encore une brique ajoutée au mur de l’indifférence du système.
Impunité d’Hélène Devynck, 2022 aux éditions du Seuil. 272 pages, 19 €.
Texte © dominique cozette