Les pecquenots

C’était tôt et déjà, il me soulait avec ses histoires de  terre, de sols etc …en s’étrillant au savon Marseille, coupant l’eau à chaque opération. Merde, j’étais encore tombé sur un pur produit de la théorie écologique  !
« Autrefois, on ne disait pas un agriculteur, on disait un paysan. Aujourd’hui, on a l’impression que c’est une insulte. Ça fait plouc, cul-terreux. En fait, ce qui leur plaît, c’est d’être exploitants agricoles. Le mot « exploitant » est parfaitement clair : on exploite la terre – Tu comprends ça, non ? – Alors qu’avec le mot « paysan », on comprenait qu’il faisait le pays. Il construisait des haies, s’occupait des chemins, gérait les fossés. Il construisait un équilibre agro-sylvo-pastoral : le champ, la forêt, les animaux, cet équilibre qu’on est en train de détruire depuis cinquante ans en mettant les cultures d’un côté, les animaux qu’on entasse dans des usines de l’autre, et puis la forêt qu’on parque ou qu’on cultive, comme les céréales, en plantant les arbres en ligne… Le cauchemar, quoi ! »
Oui, bon, c’est important, il a raison, mais moi ça me gave, j’habite dans le 5ème, alors les haies et les fossés ! Et, lui, s’entêtant :
« Aujourd’hui, il n’y a plus une haie. On a tout arraché. On a fait des déserts biologiques qui ne fonctionnent qu’à coup de pesticides, parce que les plantes sont dans un tel état de maladie que, si on ne les traite pas, on n’a plus rien. En 1950 – bon, on n’était pas nés –  on ne traitait jamais un blé. Maintenant, on le fait 3 à 6 fois par an. Les arbres fruitiers reçoivent jusqu’à 40 traitements par an. Le pire, c’est l’artichaut, qui est traité quasiment tous les jours. (passant sa tête shampooinée hors du rideau) Tu te rends compte ? Tous les jours, l’artichaut ! »
Moi, je n’en mange jamais, je n’ai pas de cocotte-minute et dans les restos, c’est assez rare d’en trouver…
« On ne mange que des plantes malades, continuait-il patiemment sans me demander si ça m’intéressait, que des animaux malades, ce qui rend les gens malades. Alors la médecine vend ses médicaments et comme ce sont les mêmes boîtes qui font tous les produits…Cycle magnifique, ça, c’est superbe, ça ! (Repassant sa tête, mais rincée, hors du rideau), c’est superbe, non ? Quand des paysans se suicident, ils se suicident avec des pesticides. L’agriculteur ne se tue pas au fusil. Il se tue avec le produit qui a tué sa terre. Symboliquement, c’est très lourd. Et ça m’a toujours impressionné… Comment peut-on ouvrir une bouteille de pesticide, et la boire ? Il faut vraiment être au bout du rouleau. Tu sais quoi ? En Inde, chaque année, 22000 paysans se suicident aux pesticides »
Un mec comme ça, c’est pas pour moi. Il sera déçu. Je clope, j’écrase les araignées, trier m’emmerde, je gâche la planète avec toutes sortes de lingettes et j’adore les mecs arrogants en 4×4. J’ai laissé le numéro de téléphone de Clotilde, elle, elle saura. Et j’ai fermé doucement sa porte.

Texte d’après Claude Bourguignon, ingénieur agronome et docteur ès sciences de la microbiologie des sols in Solutions locales pour désordre global, le livre SUPER-IMPORTANT de Coline Serreau chez Actes Sud
dessin © dominiquecozette

Golden, la pomme à thunes

Il s’agenouilla dans le confessionnal. Son haleine sentait l’ail et la menthe, comme s’il avait désiré gommer la première odeur par la seconde. Il fit le signe de croix et, tandis que je replongeai le regard dans ma bible, à la page marquée par une image de Richard Gere en 1984, il entama sa confession avec une voix rocailleuse, comme un vieux bandit corse :
« Ce que les gens ne savent pas, mon Père, c’est qu’il y a une entente entre les semenciers et la marchands d’engrais. Prenons l’épeautre qui est une espèce de blé très rustique qui n’a pas besoin d’engrais. (Il marqua une pause pour me faire relever les yeux vers lui) Il a été éliminé du catalogue des semences parce que, comme il ne nécessite pas d’engrais, on ne peut pas faire d’argent avec lui. Tout ce qui ne permet pas de faire de l’agro-business a été retiré.
Après, on dit aux gens que si on ne met pas d’engrais, rien ne pousse. »
Il sortir un kleenex de son pantalon Tom Truc, essuya son front bombé, regarda la trace de sueur comme les vieux regardaient leur morve, chiffonna le tout et poursuivit, sur un ton de complot :
« L’Inde avait 100 000 variétés de riz. 100 000, mon père ! A l’heure actuelle, il lui en reste une dizaine, cultivées massivement. 10 sur 100 000, mon père !
En Europe, il y avait 3600 variétés de fruits en 1904. Il fallait 13 volumes pour décrire les pommes de France. A l’heure actuelle,  vous n’avez plus que sept variétés de pommes commercialisées en France, dont la majorité sont américaines. US, mon père ! Nous payons des royalties aux semenciers américains, alors que nous avions la plus forte densité de fruits au monde, adaptés à chacun de nos terroirs. Vous rendez-vous compte, mon père ? »
Il sortit alors un peigne à poux et joua du pouce avec.
 » Le pire, mon Père, c’est la Golden. La Golden occupe 90% du marché. Et pourquoi la Golden ? Parce que c’est la pomme qui demande le plus de traitements phytosanitaires, 36 traitements au minimum par an. C’est pour ça qu’on l’a imposée. La PAC, vous savez ce qu’est la PAC, mon père ? La Politique agricole commune — soutenue par les grandes firmes qui vendent les pesticides — a même financé l’arrachage des variétés européennes de pommes, pour mettre de la Golden à la place. Mon père, arrêtons de fustiger Eve et la Pomme ! (Sa voix s’encoléra) Eve est une femme qui a eu les couilles de dire non au Pouvoir ! Eve est une sainte, mon Père !!! »
Il se leva, tendu. Je lui prescrivis cinq Je vous salue Marie. Puis décidai de remplacer cette vieille photo de Richard Gere par une image de Sid Vicious  confisquée à mon enfant de choeur.

Texte © dominiquecozette d’après Claude Bourguignon, ingénieur agronome et docteur ès sciences de la microbiologie des sols in Solutions locales pour désordre global, le livre de Coline Serreau chez Actes Sud.
Dessin © dominiquecozette



De l’orge, de l’ADN et des WC…

J’étais tranquillement au petit coin en train de lire « comment faire l’amour à une femme » (le livre que je venais de lui offrir), il était 6 du mat’ et vla t’il pas qu’il déboule devant la porte que je n’avais pas fermée à clé. Il l’entrouvre — sa spécialité — pour me causer.
– Arrête, j’y dis, tu vas être déçu par les effluves…
– j’ai juste un truc trop cool à te dire, sinon je vais oublier…
– Si t’oublies, c’est que c’est nase !
– Non, c’est d’une extrême importance. C’est ce truc que je lis sur les  généticiens qui bossent dans l’agro-alimentaire !
– je rêêêêve !
– Figure-toi qu’il ont été vexés comme des poux, tu sais pourquoi ? Parce que  l’orge a deux fois plus de gènes que nous. T’as capté ?
– Ah, t’es chiant ! Oui, j’ai capté, comment tu veux que je fasse autrement !
– Tous ces types, ils pensaient que nous les humains, comme nous sommes les plus intelligents, c’était nous qui avions forcément le plus de gènes… (je le sens sourire comme quand on sait qu’un amant va sortir du placard)
– Et  manque de pot, l’encouragé-je…
– Manque de pot : l’orge a deux fois plus d’ADN que nous. Et c’est une plante !!! Et alors là ils sont très embêtés parce que, comme il y a une partie immense de cet ADN de l’orge qu’ils ne comprennent pas, tu sais comment ils l’ont appelé, cet ADN ?
– heu… Grégory, Valentin, j’sais pas…
– ils l’ont appelé « junk ADN » : ADN de merde. Pour eux, c’est de l’ADN qui ne sert à rien. Non mais avoue le niveau de connerie !
– J’avoue, j’avoue. Allez, tu me laisses ? j’ai moi-même une p’tite junk commission à faire.
Il se retira, heureux d’avoir pu encore m’épater avec ses histoires végétales. Finalement, je trouvai « comment faire l’amour à une femme’ totalement erroné et regrettais de ne pas avoir choisi « le traité de la pomme de terre ».

Dessin et texte© dominiquecozette d’après Claude Bourguignon, ingénieur agronome et docteur ès sciences de la microbiologie des sols in Solutions locales pour désordre global, le livre de Coline Serreau chez Actes Sud

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