une sacrée vie de punkette !

De fringues, de musique et de mecs est le titre français du premier récit d’une icône punk de Londres, Viv Albertine. Le titre anglais est Clothes clothes clothes music music music boys boys boys.  Viv Albertine se raconte dans un livre qui m’a passionnée. Pourquoi ? Parce que j’aime beaucoup sa personnalité fragile, doutant d’elle, se dévalorisant sans arrêt mêlée à une folle hardiesse à aller au-devant d’improbables aventures, assez énormes. Comme celle d’acheter une guitare avec l’héritage de sa grand-mère bien aimée pour monter un groupe sans rien connaître à la musique et à son univers. Sa mère qui l’a élevée seule  espérait pour elle des études un peu poussées mais ses potes de l’entourage de Sid Vicious et des Clash l’influencent autrement. Elle ne semble pas très douée. La première fois que les Slits (les Fentes) se produisent sur scène, elle ne sait pas jouer debout !
Les quatre filles du groupe sont assez trash, surtout la chanteuse Ari, une jeune Allemande de 15 ans qui fait tout ce qui lui passe par la tête. Parallèlement Viv suit vaguement une école de couture car elle adore les fringues, elle s’habille de façon excentrique, très souvent chez SEX, la boutique de Vivienne Westwood, ça coûte une blinde mais ça classe. Sur la pochette de leur premier disques, elles posent torse nu avec de la boue, des plumes, de la peinture sur le corps et le visage. Rien à foutre ! Punk attitude. De façon générale, elle n’écoute personne, fait comme elle le sent, ne tire aucun plan sur la comète.
Elle vient de la classe ouvrière, pas de père, une petite soeur et une mère qui bosse dur pour qu’elles réussissent mieux qu’elle.
Mais la période punk n’a qu’un temps. Deux ans. Ari, la jeune chanteuse s’envole vers d’autres aventures, le groupe se disloque, Viv n’a pas envie d’en créer un autre. Après avoir vécu dans les squatts les plus  craignos et les endroits minables à plusieurs, vécu des aventures parfois importantes comme son histoire avec Mick Jones, elle retourne chez sa mère, petit pavillon pourri et entreprend des études de cinéma. C’est une révélation, elle adore ça. Alors elle bosse, elle bosse puis décroche des boulots, elle fait des films, des clips, ça marche si bien qu’elle gagne de l’argent. Elle peut s’acheter son petit chez-soi. Alors, elle va rencontrer un tout jeune homme de 10 ans de moins qu’elle (elle a passé la trentaine), lui est graphiste, gagne très bien sa vie. Ils se marient. Elle veut un enfant, lui pas trop mais elle se retrouve enceinte. Puis perd l’enfant. Sale période pour elle car elle va accumuler les fausses couches, puis tenter les FIV, neuf en tout, épuisantes, tuantes, qui finiront par lui donner une fille. Grand bonheur mais vite coupé par l’arrivée du sang. Il y a beaucoup d’hémorragies chez Vivi. Cette fois, c’est le cancer de l’utérus. Une horreur. Elle dépérit, les traitements l’épuisent, Mari (comme elle l’appelle) s’occupe bien de Bébé, ce qui lui permet de lutter. Elle maigrit de plus en plus, refait une sérieuse dépression, ce n’est pas la première. Mais finit par remonter la pente. De longues années comme ça. Elle ne travaille plus, ne s’occupe plus que de la maison qu’ils ont achetée au bord de la mer, et de la fillette. Ne voit personne d’autre. Mentalement, pas terrible. Elle s’accroche, veut que son couple marche, mais l’usure, le manque de considération de Mari pour elle l’atteint. Jusqu’au jour où elle reçoit une lettre admirative du séduisant Vincent Gallo, qui vit aux EU. Elle se demande bien pourquoi, et ça ne l’intéresse pas. C’est Mari qui insiste pour qu’elle donne suite, il lui montre les films. Alors, elle finit par lui téléphoner. Ils vont se téléphoner des heures pendant un certain temps jusqu’à de qu’elle se rende à New-York pour une reformation éphémère des Slits. Il est à Hollywood mais rapplique, il lui a dit qu’il l’aimait. Elle, elle veut rester fidèle. Que va-t-il se passer ?
Vous le saurez en lisant ce livre épatant où elle analyse avec finesse tout ce qui lui arrive et pourquoi. Ce n’est pas une bécasse qui voulait juste être célèbre, elle ne le voulait pas et surtout, comme elle est très curieuse, lit et se renseigne beaucoup, elle explique bien son parcours. A la fin, elle liste pour chaque année de références toutes les musiques qu’elle écoutait, les fringues qu’elle portait, les mecs qui ont compté pour elle (pas forcément des amants).
Dans la soixantaine aujourd’hui, elle décide de se consacrer à l’écriture. Elle vient de publier un nouveau récit autour de la mort de sa mère entrecoupé d’autres sujets. Je vais l’acheter.

De fringues, de musique et de mecs de Viv Albertine, chez 10/18.  2014 pour la première parution, 2017 ici. Traduit par Anatole Muchnik. 574 pages.

Texte © dominique cozette

Golden, la pomme à thunes

Il s’agenouilla dans le confessionnal. Son haleine sentait l’ail et la menthe, comme s’il avait désiré gommer la première odeur par la seconde. Il fit le signe de croix et, tandis que je replongeai le regard dans ma bible, à la page marquée par une image de Richard Gere en 1984, il entama sa confession avec une voix rocailleuse, comme un vieux bandit corse :
« Ce que les gens ne savent pas, mon Père, c’est qu’il y a une entente entre les semenciers et la marchands d’engrais. Prenons l’épeautre qui est une espèce de blé très rustique qui n’a pas besoin d’engrais. (Il marqua une pause pour me faire relever les yeux vers lui) Il a été éliminé du catalogue des semences parce que, comme il ne nécessite pas d’engrais, on ne peut pas faire d’argent avec lui. Tout ce qui ne permet pas de faire de l’agro-business a été retiré.
Après, on dit aux gens que si on ne met pas d’engrais, rien ne pousse. »
Il sortir un kleenex de son pantalon Tom Truc, essuya son front bombé, regarda la trace de sueur comme les vieux regardaient leur morve, chiffonna le tout et poursuivit, sur un ton de complot :
« L’Inde avait 100 000 variétés de riz. 100 000, mon père ! A l’heure actuelle, il lui en reste une dizaine, cultivées massivement. 10 sur 100 000, mon père !
En Europe, il y avait 3600 variétés de fruits en 1904. Il fallait 13 volumes pour décrire les pommes de France. A l’heure actuelle,  vous n’avez plus que sept variétés de pommes commercialisées en France, dont la majorité sont américaines. US, mon père ! Nous payons des royalties aux semenciers américains, alors que nous avions la plus forte densité de fruits au monde, adaptés à chacun de nos terroirs. Vous rendez-vous compte, mon père ? »
Il sortit alors un peigne à poux et joua du pouce avec.
 » Le pire, mon Père, c’est la Golden. La Golden occupe 90% du marché. Et pourquoi la Golden ? Parce que c’est la pomme qui demande le plus de traitements phytosanitaires, 36 traitements au minimum par an. C’est pour ça qu’on l’a imposée. La PAC, vous savez ce qu’est la PAC, mon père ? La Politique agricole commune — soutenue par les grandes firmes qui vendent les pesticides — a même financé l’arrachage des variétés européennes de pommes, pour mettre de la Golden à la place. Mon père, arrêtons de fustiger Eve et la Pomme ! (Sa voix s’encoléra) Eve est une femme qui a eu les couilles de dire non au Pouvoir ! Eve est une sainte, mon Père !!! »
Il se leva, tendu. Je lui prescrivis cinq Je vous salue Marie. Puis décidai de remplacer cette vieille photo de Richard Gere par une image de Sid Vicious  confisquée à mon enfant de choeur.

Texte © dominiquecozette d’après Claude Bourguignon, ingénieur agronome et docteur ès sciences de la microbiologie des sols in Solutions locales pour désordre global, le livre de Coline Serreau chez Actes Sud.
Dessin © dominiquecozette



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