Le cas Einstein père

 

Le cas Eduard Einstein, le dernier livre de Laurent Seksik, raconte le destin tragique de cette famille décomposée que le patriarche, Albert, n’a pas réussi à construire. Tout jeune étudiant, Albert tombe amoureux d’une étudiante fragile qui boîte un peu mais qui l’attendrit. Bien plus tard, ses biographes apprendront qu’ils ont eu une fillette, morte très jeune, cachée de tous, secrète et non avenue dans l’historique du grand homme. Puis deux fils dont l’un, Eduard, a finalement peu ou prou le statut de sa soeurette inconnue : abandonné, nié.
Monsieur Einstein, grand homme mais aussi séducteur incorrigible, se sépare de sa femme et de ses fils pour vivre une autre histoire. La chasse aux Juifs de ce temps-là le fera émigrer vers les Etats-Unis où il n’est pas vraiment le bienvenu. C’est la chasse aux sorcières, on le prend pour un communiste, et le fait qu’il ait inventé la bombe qu’il va pourtant tenter de stopper, ne plaide pas en sa faveur.
Pendant ce temps, sa femme, qui a renoncé à sa carrière pour lui et pour élever ses enfants, se débat avec Eduard dont on a découvert à 18 ans la schizophrénie. Jamais remise d’avoir abandonné sa fillette qui est morte loin d’elle, elle se concentre sur les soins à donner au fils malade.
Electrochocs, séjours en instituts spécialisée, tentatives de suicides et auto-mutilations lui interdisent toute tentative d’insertion dans une vie normale.
La mère perdra la tête avant de mourir, le grand-frère exilé lui aussi aux Etats-Unis, ne pardonnera que très tard à son père d’avoir bousillé leurs vies. Et Albert ne pourra jamais — jamais — se résoudre à revoir cet enfant-boulet dont il impute le handicap à sa belle-famille. C’est son drame, il est incapable d’y faire face et ne peut, de l’autre côté des mers, qu’envoyer de l’argent pour que d’autres s’en occupent à sa place.
L’intérêt du livre, outre l’histoire elle-même, est la façon dont elle est racontée, sous trois points de vue. Celui du père, celui de la mère mais surtout celui-du « je », Eduard lui-même, qui se met à nu. Oh oui, il est conscient que quelque chose débloque chez lui, mais sans en être convaincu. Il n’aime pas son père. Il supporte très mal le nom d’Einstein, si lourd à porter, et qu’il s’autorise si peu à investir. Il nous émeut par son désarroi, ses incohérences, ses amitiés fugaces, son attachement à sa mère, et finalement, sa résignation au sort que la vie lui a réservé.

Le cas Eduard Einstein, de Laurent Seksik chez Flammarion, 2013. 300 pages, 19 €.

Texte © dominique cozette

Les mères juives ne meurent jamais

C’est le titre du bouquin que je viens de finir. De Natalie David-Weill, avec, en sous-titre « humour ». Oui, bien sûr, c’est assez amusant de voir les mères abusives de génies comme Einstein, Albert Cohen, Romain Gary, les Marx Brothers, Proust et Woody Allen rivaliser d’admiration pour leurs chérubins qui ont réussi grâce à elles, aux soins qu’elles leur ont prodigués et à leur amour inconditionnel.
Le pitch : une jeune mère juive de 40 ans, morte dans un accident, se retrouve au paradis avec toutes ces mères. Elle-même chérissait son fils mais il n’a que 20 ans et pas eu l’occasion d’étaler ses dons. Curieuse de savoir comment on fait pour obtenir des fils pareils, armée d’une culture tentaculaire, elle peut à loisir les questionner, les mettre en compétition ou les critiquer.
Dans ce paradis, il y a des cuisines pour y faire des gâteaux, de confortables fauteuils, une immense bibliothèque et des jardins. Et des chambres pour celles qui veulent dormir. Le confort pour l’éternité.
Rebecca essaie donc de comprendre si c’est le fait d’être une mère juive accaparante qui fait d’un garçon un génie ou si un petit génie génère l’instinct de couvaison de la mère. Elle explore le passé amoureux de chacune, le type de père qu’elles ont donné à l’enfant, le ressenti de l’enfant par rapport au sentiment étouffant qu’engendre cette sorte d’amour, leur santé aussi car beaucoup de ces génies étaient fragiles, maladifs, hypochondriaques, voire suicidaires.
Et c’est assez drôle de les entendre parler de leur intimité avec leurs rejetons, notamment Sigmund ou Marcel.
L’auteure est fortement documentée et elle apporte beaucoup d’éclaircissements sur la vie des uns et des autres, la fabrication du chouchou, notamment chez les nombreux Freud, ou encore chez les Marx, et sur les ruses des fils pour feindre un amour réciproque masquant une haine assassine.
Sur la forme, c’est un peu répétitif et sommaire, l’auteure procédant par questions/réponses sans trop de nuances. Mais ça se lit facilement sous un arbre au soleil ou dans une véranda sous la pluie.
Le livre peut donner le goût de (re)lire les oeuvres majeures des écrivains (la drôle et formidable promesse de l’aube de Romain Gary) ou de revoir certains films de Woody Allen dont je vous conseille l’excellentissime moyen métrage sur sa mère calamiteuse, Oedipus Wrecks, 40′, en intégralité ici, (je n’ai pas vérifié si le lien marche jusqu’au bout) tiré de New-York Stories.
Le livre existe en poche.

Les mères juives ne meurent jamais de Natalie David-Weill, 2011 chez Points. 260 pages, 6,70 €

Texte © dominique cozette

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