Quelle drôle d’expression ! Qu’on m’incite à venir habillée, nue, maquillée, repue, fatiguée, en couple, avec mes enfants, en métro, pas trop tard, comme je suis — mais ça c’est Mc Do et je ne vais jamais au Mc Do —à petits pas, les mains vides, à la bonne franquette, sans rien préparer, vite … tout ça, je sais faire, ça roule.
Je suis même parfois venue sans qu’on m’attende, c’est très gênant pour les deux parties, je suis aussi venue avec armes et bagages mais c’était durant une guerre sans nom, la guerre des sexes si vous préférez. Je suis venue comme ça, oui, comme ça, c’est gonflé mais je l’ai fait. Je suis venue la gueule enfarinée, ce qui est le plus sûr moyen de repartir la queue entre les jambes. Je suis venue te dire que je m’en vais, parfaitement, il n’y avait pas de SMS ni de tweet pour l’annoncer, fallait le faire de visu pour bien l’entériner. Puis je suis venue à maturité, très récemment et sans savoir pourquoi, je ne sais pas comment je dois le prendre.
Si on me demande de venir en rang(s) serré(s), ça devient limite car est-ce un rang qui est serré ou plusieurs. Quoi qu’il en soit, ça présuppose la formation d’un groupe pour réussir le truc, or je déteste me balader en troupeau.
Reste le « venez nombreux », fréquemment entendu à la télé pour des promos portes ouvertes, destockages massifs et autres événements exceptionnels. J’ai bien essayé, une fois. Je me suis dit : viens nombreuse, viens nombreuse. Quoi que bizarre comme injonction, je me suis postée devant la glace en la serinant pour voir si je devenais nombreuse. Que pouic. Je demeurai seule et unique. Je ne suis donc pas venue et d’ailleurs, tout le monde a fait comme moi : on n’est pas venus nombreux, ce fut un flop total.
Mais que ceci ne vous empêche pas de venir nombreux mercredi 19 à la librairie du théâtre du Rond-Point, de 19 à 20h. 30, où aura lieu la fête de lancement du livre « Vents Contraires », blog agité du théâtre dans lequel j’ai l’heur d’apparaître aux côtés de sacrées pointures et de gros niqueurs qui seront forcément venus nombreux, sinon, tu la vois celle-là ?
Il s’agit du nouveau spectacle de Jean-Michel Ribes au Rond-Point. C’est une farce musicale, sorte d’opéra-bouffe brillamment menée qui a pour nom « René l’énervé » et qui conte l’accession à la tête du pays d’un épicier sans idéologie mais avec de gros mollets, en short, et très agité à courir. Tout le monde doit courir derrière lui. Oui, la farce est comique car le texte est très drôle, suffisamment décalé pour ne pas empiéter sur nos humoristes et nous étonner sur ce que nous connaissons par coeur de cet olibrius complètement cynique à notre tête.
Mais Ségolène et Martine, alias Ginette et Gaufrette, en prennent aussi plein la chetron, surtout la première, très bien représentée en furia illuminée et incontrôlable.
On a droit à tout ce qui nous a humiliés, indignés, interloqués, le Fouquet’s, le départ de Cécilia (Caramella), les Rolex, la flicaille, la rencontre avec la chanteuse, la visite au Vatican, le tout évidemment revisité par l’humour caustique de l’auteur. Une place a été donnée aux aventures de DSK, alias Fredrik Gengis Khan, le Grand Coiffeur International, foudroyé en plein vol. On rit au conseil des ministres avec la Ministre du Miasme Contagieux, de la Couche-Culotte et du Penalty dans la Lucarne, le Ministre de la Condamnation d’Avance, de la République sans taches et du Crochet à Viandes et bien d’autres. Hortefeux y trouve son rôle ainsi que, ainsi que, ainsi que… nous tous, les plus importants : les cons de la Nation, sans lesquels ce ridicule dirigeant en survêt’ bling-bling ne saurait exister.
L’orchestration est brillante, les musiciens sont excellents et les comédiens, tous chanteurs hyper-pro, sont sublimes. Les décors, les costumes tout ça, c’est du super boulot. Quand on pense à tout ce qui doit se passer dans les coulisses pour que les comédiens se changent aussi souvent et aussi vite, faisant croire qu’ils sont cinquante — ils sont un peu plus de vingt — ça donne le tournis !
Les premières critiques sont plutôt bonnes mais, comme moi, déplorent un peu la création d’un René bis (je l’ai zappé car il m’emmerdait) qui tentait de ramener son clone dans le droit chemin. La fin vaut ce qu’elle vaut, comme on dit chez les Frisonnes…je parle des vaches. Enfin nous, on s’est bien amusés !
René l’Enervé, de Jean-Michel Ribes. Théâtre du Rond-Point, salle Renaud-Barrault, 7 sept-29 oct 2011, 21 h.
C’est forcément suspect, l’unanimité. Passe encore qu’un spectacle de clowns, emballés par six comédiens russes, puisse ravir dans un somptueux consensus la fameuse tranche des 7 à 77 ans. Plus étrange, que toute la presse française sans exception (et en matière culturelle, cela relève du tour de magie) s’esclaffe d’éloges devant les grandes et petites misères d’une famille russe ballottée entre un père alcoolique, une mère poule enceinte jusqu’aux dents et une bande d’affreux marmots bien décidés à faire régner sa loi.
Mais là où le cas Semianyki («famille», en russe) devient réellement troublant, c’est qu’après six ans de tournée mondiale, on n’a pas encore répertorié un bout de planète qui ait eu envie de résister à cette douce folie. Partout, c’est un immense succès. Sauf peut-être en Russie. La programmation du spectacle pendant un mois à Moscou, n’a jamais fait le plein. «Mais on était en pleine crise H1N1», rigole Alexander Gusarov, un des membres de la troupe (lire page suivante). Les voilà donc, qui reviennent à Paris au théâtre du Rond-Point pour deux mois (après un premier passage en 2007), avant de repartir sur les routes d’Amérique latine.
«Papier toilette». Tout a vraiment décollé à Avignon, à l’été 2005. Deux ans auparavant, Olga Eliseeva (la mère), Alexander Gusarov (le père), Marina Makhaeva (la fille aînée), Kasyan Ryvkin (le fils), Yulia Sergeeva (la cadette), et Elena Sadkova (le bébé) sortent de leur promotion de l’école de clown et de mime du Licedei, à Saint-Pétersbourg, avec une création. Avant de devenir un nom de troupe, Semianyki est donc une ébauche de spectacle, où une famille russe de clowns se débat dans une mélancolie alcoolisée réjouissante. Où les quatre sales gosses, embrigadés par un aîné (armé d’une scie en plastique et toujours prêt à découper en morceau père et mère), élaborent jour et nuit des stratagèmes aussi cruels que drolatiques pour dire leur amour-haine à des parents passablement dépassés par la situation. Chacun y a mis ses souvenirs personnels. Elena, le bébé, se rappelle, enfant, avoir attendu très souvent dans la nuit avec sa lampe de poche que son père rentre, bourré, de l’usine. Alexander Gusarov se souvient du mal de dos de sa maman qui l’obligeait à se tenir droite comme un piquet. Et Kasyan Ryvkin, élevé dans une famille mélomane, a longtemps rêvé de devenir chef d’orchestre. Tout cela est pour de vrai dans leur spectacle. Remouliné à la mode clownesque.
Trois jours après le début du Festival d’Avignon, la rumeur s’est propagée comme une traînée de poudre : «Des clowns russes sont en train d’enrober de papier toilette les spectateurs du théâtre du Chêne noir.» C’était suffisamment intrigant pour aller voir de ses propres yeux. Ils ont fait complet pendant un mois. «Un souvenir fantastique, se rappelle Alexander Gusarov. Pour nous, c’était notre première vraie tournée hors de Russie, et on ne savait pas du tout comment allait réagir le public français.»
Six ans et plus de 800 représentations plus tard, les Semianyki ont posé leurs vieilles valises déglinguées partout dans le monde sauf en Afrique, en Islande et en Australie. Chapeautée par Boris Petrushansky, scénographe et ancien directeur du Licedei, la troupe (six comédiens et six techniciens) s’invente un mode de vie semi-collectif : des décisions à l’unanimité, mais pas de salaire unique et à chacun ses droits d’auteur (en fonction de sa contribution au spectacle). Avec le succès (et l’argent qui rentre), ils ont pris leur distance avec l’historique Licedei qui les a biberonnés, pour investir un nouveau lieu, toujours à Saint-Pétersbourg, le Chaplin Hall. Comme pour tourner une page.
Gros nichons. Si le spectacle n’a pas beaucoup bougé, il a confirmé une promesse : l’immense talent d’Olga Eliseeva, la mère, qui tient à elle seule la baraque, avec son ventre de femme enceinte et ses gros nichons qui font «pouet pouet» quand on les presse. Sans mots, elle sait tout faire, tout dire. En deux temps, trois mouvements, elle est grotesque, lascive et maternelle. Chatte et tigresse, comique et émouvante dans le même battement de cils. Dès qu’elle entre sur scène (très souvent), le spectacle bascule dans une irrésistible folie poétique et mélancolique. Avec Olga Eliseeva, les Semianyki ont, a priori, le carburant pour durer encore longtemps. Ils assurent qu’ils reviendront à Avignon avec une nouvelle création, peut-être dès l’an prochain. «On est comme les éléphants, on a une gestation un peu lente», rigole Kasyan Ryvkin. Ils envisagent d’accueillir un nouveau clown russe rencontré en Israël. Et promettent que «tout sera nouveau». Et que la famille sera, elle, «mise au placard»