Sophie Daull a connu deux drames épouvantables. Le premier qu’elle ait mis en mots fut la mort de sa fille de seize ans, d’une maladie foudroyante, appelé Camille, mon envolée. Que je n’ai pas lu. Le second fut bien antérieur puisqu’il s’agit du meurtre abominable et du viol instrumentalisé de sa mère alors qu’elle avait 19 ans. Elle n’a pas raconté le meurtre, même si c’est elle qui a découvert le corps au petit matin, mais narré son enquête pour retrouver des traces de sa mère dont elle ne savait pas grand chose parce qu’elle ne s’épanchait pas, et de son père qu’elle ignorait. C’était dans La suture dont j’ai écrit un article.
Cette fois, pour ce troisième livre, elle revient sur le meurtre de sa mère par le biais de son assassin qui serait sorti de prison au bout de 18 ans pour bonne conduite. Il a fallu que je regarde ce qu’elle en disait dans La Grande Librairie (lien ici) pour comprendre ce qui était vrai. En fait, elle invente l’assassin, il devient sa marionnette. Elle le fait s’exprimer : il est suivi dans sa réinsertion, accepté par une institution qui lui fait confiance à savoir la mairie de Nogent-le-Rotrou où il est jardinier. Il est sobre, travaille correctement, ne fait pas grand chose, hébété qu’il est par la mort de son compagnon de cellule avec qui il était en couple et qui lui a appris les raffinements de la vie. Il était très riche. Il le protégeait, le gâtait, ils se sont éclatés en prison.
L’assassin est un beau garçon, c’est comme ça qu’il a joué de son charme jadis. Mais brusquement, il est confronté à son passé : une femme écrivaine va venir à Nogent signer le livre sur sa fille morte et il reconnaît la fille de sa victime. Alors il est déstabilisé. Tout lui revient, sa tête s’emplit de sons, ça devient invivable.
Dans le même temps, dans une police de caractère autre, s’exprime l’écrivaine. Elle ne sait rien de la rencontre qui va avoir lieu, elle ne pense pas à cet assassin, elle se prépare pour sa tournée des librairies.
C’est un livre extrêmement dense, court, avec un style très sophistiqué et métaphorique lorsque c’est elle qui parle, plutôt cru et terre à terre lorsque c’est lui qui s’exprime. C’est très très fort.
Au grand lavoir de Sophie Daull, 2018 aux éditions Philippe Rey. 160 pages, 16 €.
Texte © dominique cozette