De Laurent Mauvignier, Histoires de la nuit (chez Minuit ha ! ha ! ha !) est un roman qui se mérite. Certes les phrases font dix kilomètres de long et à l’heure où l’on n’a droit qu’à un kilomètre de chez soi, c’est un peu saumâtre. Mais ces phrases, quoique avec des répétitions (effet de style dont je ne connais pas le nom), sont une sacrée source pour comprendre chaque personnage, pour renseigner sur ce qui passe dans sa tête ou ce qui aurait pu se passer ou dû se passer, où même se passera, sorte de torticolis cérébral comme on en connaît dans nos petites têtes personnelles. J’ai entendu dire que c’était un peu rude de « se farcir » ces phrases à rallonge, j’avoue que, aux prémices de l’action qui occupent un bon tiers du récit, j’ai parfois lu en diagonale certains longs paragraphes qui semblaient ne être décisifs pour la suite des événements.
Mais.
Car il y a un mais. Une fois le premier élément de l’histoire installé, je ne me prive plus de rien, car la précieuse mécanique du suspense est primordiale, sinon à quoi bon.
L’action se situe dans un hameau minuscule de trois maisons, le hameau des trois femmes seules s’appelle t-il. Bergogne, un paysan rustique et costaud s’y occupe de ses vaches tandis que Marion, sa femme, travaille en ville, dans une imprimerie. Ils ont une fille adorable de 10 ans, Ida, qui, en rentrant de l’école par le car scolaire, passe chez la voisine, Christine, une artiste excentrique aux cheveux rouges, peintre parisienne de bonne renommée qui s’est réfugiée ici et continue son œuvre sans le faire savoir. Juste pour elle. Ida prend son goûter chez elle, en compagnie de l’adorable chien de Christine. La troisième maison est inoccupée. Dès le début, le malaise qui s’est développé dans le couple est perceptible : Bergogne bave d’envie et d’amour pour sa femme qui, elle, le bat froid. Elle sort une fois par semaine avec ses copines de l’imprimerie en boîte ou au karaoké et en revient murgée. Lui va parfois se soulager chez les putes.
Christine et Marion ne s’aiment pas. Christine a toujours su que Bergogne n’aurait jamais dû épouser cette femme, elle n’est pas nette. Et puis une affaire vient troubler le calme de ce trou : les lettres anonymes insultantes adressées à Christine, parfois même déposées directement chez elle.
Mais tout commence le jour des quarante ans de Marion : le mari doit aller en ville lui acheter un beau cadeau, Christine doit préparer des gâteaux car ils ont invité, pour lui faire une surprise au dessert, les deux copines de Marion. La gamine doit faire un beau dessin. Mais c’est aussi en fin d’après-midi que Marion et ses deux collègues ont un problème à régler lors d’une réunion avec le chef pour une faute qu’elle a faite et qu’un collègue, harceleur et macho, n’a pas su contrôler. Réunion décisive car Marion ne veut pas se laisser dominer par ce triste sire qui leur pourrit la vie.
Et, alors que le mari s’est attardé stupidement en ville, le cadeau plus la passe plus une crevaison, que la réunion dure longtemps, deux voitures entrent dans la cour du hameau, et deux hommes vont prendre Christine en otage après avoir « neutralisé » le chien. Le cauchemar commence.
A ce moment, un suspense terrible commence car on ignore ce que ces hommes veulent, pourquoi ils sont acheté des cadeaux et du champagne pour l’anniversaire de Marion, on ignore pourquoi on les laisse s’installer à la table de fête sans réagir. La terreur monte chez les participants, et à partir de ce moment, les très longues phrases sont les bienvenues pour nous faire comprendre, lentement, à petites doses, ce qu’il se trame. Et c’est pas joyeux !
Histoires de la nuit de Laurent Mauvignier, 2020 aux éditions de Minuit. 636 pages, 24 €.
Texte © dominique cozette