L’étranger de Camus, on s’en souvient, avait tué un « Arabe » pour aider un copain assez mac à se venger de l’infidélité d’une femme arabe. Il s’appelait Meursault, cet étranger d’Alger, ce colon indifférent, désabusé.
Des décennies plus tard,le frère de l’Arabe tué raconte ce qu’il sait de ce meurtre et de la vie qu’il a dû mener à cause de ça. C’est une idée formidable de Kamel Daoud d’avoir écrit Meursault contre-enquête, de s’être emparé d’un anti-héros célèbre et d’imaginer les dommages collatéraux de son acte. On est donc en présence d’un vieil Algérien qui rumine sur cette affaire 70 ans plus tard, racontant à un témoin imaginaire tout ce qui lui est arrivé depuis cette mort. Il avait 8 ans à l’époque, son père s’était déjà barré. Quand elle a appris la mort de Moussa, sa mère a accusé le coup et n’a jamais fait le deuil. Bien au contraire, elle a fait endosser au petit frère l’existence du grand. Elle a fait peser sur lui une chape de non-dits, de douleur, d’interdits, d’autorité muette, elle lui a bousillé la vie, quoi. Les trois problèmes principaux liés à cette histoire sont et d’un que l’Arabe n’a jamais eu de prénom ou de nom dans le livre du narrateur-assassin. De deux, que le corps n’a jamais été retrouvé, que la tombe est vide, qu’il n’y a aucune preuve que Moussa ait été tué par ce blanc. Et de trois que l’assassin n’a jamais pu expliquer son geste, pourquoi cinq balles alors que la première était mortelle. En plus, il n’a rien regretté. Il s’en foutait complètement de cet Arabe.
Notre ruminant se trouve au café, à Oran, il ne supporte pas Alger, il boit du vin, il n’est pas religieux, il a eu une vie pourrie avec une mère hyper envahissante qu’il a fini par lâcher. Elle vit ailleurs, il ne la supporte plus, mais une mère on ne peut pas ne pas l’aimer, c’est la moitié du monde ! Peu à peu il se lâche, il avouera un meurtre, puis un amour de trois mois vécu justement à cause du roman sur l’étranger, et quelques passades sans intérêt, un boulot idem. Rien quoi.
Ce livre est riche, il fourmille de ressentis plus ou moins exotiques pour nous, il raconte la guerre, la décolonisation, les Algériens toujours traités comme des moins que rien, le pays à la dérive. Le ton du narrateur est morne, sans excès ni bouffées mais ça n’empêche pas le récit de se construire, de nous emporter avec lui dans cette sorte de vie fangeuse inondée de soleil et flanquée de citronniers.
Meursault contre-enquête de Kamel Daoud 2013. 2014 pour l’édition Actes Sud. En poche chez Babel. 156 pages, 6,80 €