Viol d'homme par Edouard Louis

Vous savez, Edouard Louis c’est cet auteur qui avait fait un tabac avec Eddie Bellegueule, le récit de son enfance pauvre et douloureuse dans le nord de la France, mais que je n’avais pas lu. Je n’avais pas plus envie de lire Histoire de la violence où l’auteur raconte sa nuit de noël à Paris où, ayant fait monter  un inconnu dans son studio, avait passé la nuit avec lui, puis s’était retrouvé victime de violences, viol et tentatives de meurtre. Je craignais que ce soit très cru, très hard, comme les bouquins de Dustan par exemple et ça ne me disait rien.
Comme il n’y avait pas grand chose sur le présentoir de la médiathèque, j’ai fini par le prendre et le lire. Et là, surprise ! Ce livre m’a carrément accrochée. Pas de détails scabreux sur des pratiques intimes, mais la dissection très fine des sentiments que ressent l’auteur (apparemment tout est vrai et même le nom — connu — de ses amis ).
A partir de la rencontre à la République avec Reda, tout y est passé au laser de ses émotions, les réticences à le recevoir chez lui, le désir qui s’éveille, la pudeur des épisodes sexuels, puis le soupçon de vol de son téléphone et le début de la peur, la naissance de la violence, les agressions, la douleur, la honte, la réaction de soumission, puis la fuite. Le réconfort de ses amis, la compréhension des policiers, la crainte d’avoir été contaminé, la honte encore au moment des soins.
Pour parler de ça, Edouard Louis nous donne deux récits : le sien, de longues phrases analytiques, et celui de sa sœur, par la voix de sa sœur à qui il a tout raconté et qui le relate à son mari, sans savoir qu’Edouard entend tout, derrière la porte. Sa sœur, l’aînée de la fratrie, restée pauvre et provinciale, dont le langage basique et populaire manque terriblement de recul et de conceptualisation. Cette sœur, bien qu’elle aime son petit frère suffisamment pour qu’il se confie à elle, est la voix du peuple, elle n’a pas eu la chance ou le courage de partir, d’étudier, d’évoluer, de diversifier les nuances de sa pensée. Son récit est comme une autre violence qui renforce celle qu’il porte en lui, dont on sent qu’il aura du mal à se remettre.
Tout le talent d’Edouard Louis est dans la nuance, dans la précision, dans la recherche de l’exactitude. Parfois, je me disais OK, il s’est fait violer par celui avec qui il a baisé, il a eu très peur que l’autre le tue, ce ne sont que des faits divers comme il en arrive tellement souvent aux femmes, c’est très grave, bien sûr, mais comment peut-il faire tout un livre dessus ? Un récit aussi bouleversant ? Comment peut-il nous intéresser durant 230 pages sur un événement aussi court ?
Il y arrive très bien, c’est tout le talent de l’écrivain. L’écriture est puissante même si on peut  lui reprocher les faiblesses caricaturales du langage populaire, ça tient. On est pris par ce qui se passe dans le cerveau du narrateur, ses réactions, ses réflexions. Du grand art !

Histoire de la violence par Edouard Louis au Seuil. 230 pages. 18 €

Texte © dominique cozette

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