Le drame berlinois de Kennedy

Ich bin ein Berliner,  ça ne marche pas pour Douglas Kennedy. Pourtant, son livre intitulé Cet Instant-là se passe dans la grande ville coupée en deux par le maudit mur. Un vrai mélodrame y prendra racine avec un suspense infernal. Mais ça ne commence pas comme ça. Ça commence de nos jours, au XXIème siècle, quand le héros, Thomas, reçoit deux courriers dans la maison isolée où il s’est retiré : les documents officiels de son divorce et le journal de son terrible amour.
Le divorce, c’était couru, il ne s’est jamais réellement bien entendu avec sa femme et c’était le symptôme d’un gros ratage, comme celui de ses parents. Lorsqu’il s’est marié, sa croyance en l’amour vrai, pur, avait été sérieusement ébranlé par ce qu’il s’était passé à Berlin.
Le courrier venu d’Allemagne l’a beaucoup plus choqué car il ne l’attendait pas. Vingt-cinq ans après cette épopée, l’affaire était close. Même s’il y pensait sans arrêt. Et le journal va tout faire ressurgir. Mais avant, Thomas va nous raconter ce qu’il s’était passé là-bas, quand il voulait devenir écrivain — il avait déjà eu un petit succès avec son premier livre sur l’Egypte —  et il choisit ensuite Berlin pour étudier de plus près la vie déchirée par la guerre froide qui s’y joue. Il réussit à trouver un emploi dans la radio pro-américaine Liberty, qui diffuse aussi à l’Est, emménage dans un quartier interlope chez un peintre junky et complètement barjo. Puis entreprend la connaissance de la ville en se rendant à l’Est où l’omniprésence de la Stasi est palpable. Oui, rien à voir, terriblement triste et policé, une sinistrose totale.
Dans cette radio, coup de foudre réciproque avec une jeune et jolie traductrice, Petra, transfuge de l’Est qui peu à peu se laisse apprivoiser par cet Américain si attentionné, si compréhensif et si amoureux. Ils partagent les mêmes passions pour le cinéma et la littérature, ils s’entendent à merveille, ce qui n’est pas sans soulever certaines jalousies. Leur projet de vivre ensemble s’enracine et commence à prendre forme jusqu’au jour où. Son journal s’arrête là puisqu’il quitte Berlin brusquement, le cœur en vrac, dégoûté de la vie.
Le journal qu’il reçoit est la réplique de son histoire, du point de vue de Petra, plus la suite, le pourquoi de cette rupture fatale et irrémédiable. Je n’en dis pas plus. Mais c’est bouleversant. Le mot est lâché…
Et puis d’autres personnages entourent cette brève et intense aventure et nous amène à considérer notre existence comme une suite de hasards, ou de malentendus, ou de chances… La partie berlinoise couvre à peu près 450 pages, c’est que ce que raconte de la vie là-bas est très détaillé, l’Est et l’Ouest, les soupçons des uns sur les autres, le mythe américain, la réalité du système communiste, l’impression d’être toujours coupable, tout cela nous renseigne avec précisions sur ces années. Passionnant.

Cet Instant-là par Douglas Kennedy, (The Moment, 2011) Aux éditions Belfond puis chez Pocket. Traduit par Bernard Cohen, 700 pages., 8,75 €

Texte © dominique cozette

 

Un livre pro-choice VS pro-life et d'Uber aussi

Les Hommes ont peur de la lumière de Douglas Kennedy, drôle de titre qui ne dit rien du tout sauf peut-être à Afflelou et Atoll. Et pourtant ce livre est vraiment de circonstance dans l’actualité sociale pour deux raisons fortes : Uber et la loi anti-avortement aux Etats-Unis.
Le narrateur, Brendan, malheureux dans la vie que son père a choisie pour lui, se retrouve faute de mieux chauffeur Uber. Précaire, quoi. Là, on se rend compte de tout ce qu’il faut de nécessité vitale pour avaler les couleuvres de cette plate-forme dénuée de toute humanité, de ce qu’il faut supporter de clientes (ici ce sont surtout des Américaines de L.A)  pour ne pas avoir de notation négative qui t’enlèverait ton seul moyen de survivre. Beaucoup de détails sont passés au crible de cette clientèle (ce qui renforce le sentiment de trahison de Macron que beaucoup ne digèrent pas, concernant ses tractations avec cette multinationale). Par ailleurs, il est marié à une femme qui s’est soumise à je ne sais plus quelle secte catho intégriste pro-life, active et totalement fermée à toute discussion. Ils ont une fille qui bosse dans le social, mal aimée par la mère (elle a remplacé un fils mort adoré) mais qui adore son père. Au moins ça pour lui.
C’est dans ce véhicule hyper bien entretenu qu’il charge Elise, une veuve qui voue sa vie à aider les femmes sur le point d’avorter. Mais arrivés devant la clinique, ils sont pris à parti par un groupuscule pro-life, animé d’une grande violence puisqu’un vigile est tué. Et que le taxi, unique instrument de travail de Brendan, se trouve fortement endommagé.
Pour compliquer la chose, cet attentat est filmé et passe sur les RS et à la télé. Brendan va devoir affronter Todor qui est non seulement son meilleur ami d’enfance mais aussi la figure de proue de la branche réac catho qui a endoctriné sa femme.
Beaucoup de suspense dans cette histoire car la fille, à son tour, va être dramatiquement mêlée à l’affaire qui a buzzé dans tout le pays. Elle est au centre d’un vrai cauchemar, et Brendan va devoir voler à son secours et à ceux de gens qui ne comptent pour rien face à l’énorme Goliath du mouvement pro-life, tenu par un richissime mécène sans aucune moralité, puissance qui n’en est pas à une exaction près. La fin est un peu grandiloquente, pleine de retournements de situation.
Mais n’empêche, ce livre est très intéressant pour comprendre certaines mentalités au sein de ce pays qui fut longtemps synonyme de liberté.

Les Hommes ont peur de la lumière ( Afraid of the Light) de Douglas Kennedy, 2021, traduit par Chloé Royer. Editions Belfond. 256 p. 22 €

Texte © dominique cozette

La symphonie du hasard 1, 2 et 3.

J’ai pris le tome 2 de la Symphonie du hasard de Douglas Kennedy à la médiathèque sans savoir qu’il y avait un tome 1 mais il se laisse parfaitement lire même quand on ne connaît pas les tenants et aboutissants du premier livre. Le thème de la trilogie : suivre le parcours d’une jeune Américaine , de 16 ans,  jusqu’à la trentaine, de sa famille, ses névroses, ses dissensions, ses trahisons, ses bons moments aussi. Passionnant.

Le tome un commence par la fin : Alice est devenue éditrice à New-York. Tout n’est pas rose, notamment concernant sa famille : elle doit rendre visite à son frère Adam, au parloir de la prison à où il purge une peine de 8 ans. Elle revoit sa jeunesse des années 70. Le livre commence par « toutes les familles sont des sociétés secrètes » et va le démontrer car chez elle, comme chez tout le monde, il y a des non-dits, des règles implicites, des intrigues, des secrets. Elle est née des amours jamais manifestes d’une mère juive, autoritaire et dépressive et d’un père catho irlandais, tous deux peu tolérants, étroits d’esprit. L’histoire commence quand elle est en fin de secondaire, les petites guéguerres entre clans des terminales, humiliations, lois du plus fort. Son amie principale se fait maltraiter, vraiment violemment, probablement jusqu’au viol et on ne la revoit plus. On retrouve juste son vélo et plus rien. Le petit copain d’Alice décide d’agir et révèle cette violence à la presse. Scandale ! Il y a des exclus, des condamnés. Plus tard, Alice rejoint l’université, un campus plutôt artistique et elle y est heureuse, il y a tant de personnalités intéressantes ! Elle devient fan d’un super prof, elle se fait des amis, elle pense même y rencontrer l’amour solide en la personne d’un footballeur … très fin et cultivé.  Mais, là, ça continue : les violences contre les homos, les Noirs, les faibles ne désarment pas, des vies se jouent à ce moment de jeunesse. Pour ceux qui, comme moi, ne connaissent pas le mode d’emploi des campus, c’est très instructif. Très descriptif avec des scènes de vie ordinaires et beaucoup de théories de l’époque bien visualisées. On y retrouve la presque insouciance de la période post-hippy, les excès nouveaux, les soûleries, la dope, la musique aussi, le besoin d’expression.
Mais les secrets de famille continuent à fissurer l’édifice. Alice apprend ce qu’il s’est passé exactement lorsque son frère Adam a eu son accident où son ami noir est mort. Ce qu’elle trouve horrible, c’est qu’elle devient, par le fait, complice d’une sale histoire qu’elle ne peut dénoncer. Parallèlement, elle soupçonne son père, toujours parti au Chili où il gère « sa » mine, d’avoir largement participé au coup d’état de Pinochet et d’y avoir mêlé son frère Adam. Quant à Peter, son frère pro-Allende, il estaussi  au Chili, mais dans l’autre camp, là où on risque dorénavant sa vie. Un grand froid s’est glissé entre elle et lui lorsqu’elle l’a surpris au lit avec une pétasse du campus alors qu’elle l’attendait.
L’année scolaire n’en est qu’à son premier tiers lorsque des événements gravissimes se produisent au campus, réduisant à zéro tous les plans qu’elle tirait déjà. c’est pourquoi, elle prend la décision de finir son année scolaire en Irlande.

Le tome 2 respecte l’unité de lieu : il ne se situe qu’en Irlande, par l’arrivée de l’héroïne, Alice, à Dublin où elle ne connaît personne et où elle doit passer son master. Venue des Etats-Unis, elle a voulu mettre un océan entre sa famille et elle. On saura pourquoi au long du livre, trahisons, haines, divergences politiques profondes… On assiste à son installation dans ce lieu où les « Amerloques » sont mal vus et où l’IRA est omniprésente. Ce sont les années 70, encore vaguement idéalistes, elle n’a pas beaucoup d’argent, son père avec qui elle est fâchée lui en donne peu, sa mère ne l’aime pas, ses frères sont au Chili, l’un suit son père pro-Pinochet, l’autre fait la guerilla. Puis une revenante frappe à sa porte et là, les très gros ennuis commencent.
En même temps, grâce à quelques amitiés, quelques coups d’un soir et un coup de foudre, elle commence à apprécier ce petit pays sans confort, ses bières et autres breuvages dont elle s’enivre, ses magnifiques paysages. Et elle bosse, c’est une amoureuse des lettres, de la culture, des grandes idées de gauche de ces années d’après guerre. Un moment, elle doit filer à Paris où se planque son frère qui aurait tué quelqu’un, pour le revoir, savoir…
Puis l’amour. Puis un attentat. Fin du tome deux.

Le tome 3 la retrouve aux Etats-Unis, broyée, blessée. Après une rééducation face à une mère redevenue sympa, puis non, de nouveau agressive, elle va s’enterrer dans un bled où elle donne des cours. Elle ne se lie à personne, évite les réunions, bref, se replie sur le boulot, les livres la littérature. Et, miracle, rencontre un homme qui la fait vibrer sexuellement, mais déjà avec quelqu’un. Comme lui, elle ne veut pas se fixer, ils ne se voient donc que pour ça, clandestinement. Puis quelqu’un la convainc de venir à New-York où elle va travailler dans l’édition. Elle va se donner à fond dans cette activité passionnante, y rencontrer des personnes qui lui veulent du bien et se remettre doucement à vivre. L’alcool réunit tous ces gens. Son amant, qui vit là avec sa juliette voit son installation si proche de chez lui d’un mauvais oeil. Coup de théâtre : il tombe amoureux de la nana de Peter, le frère d’Alice, son frère qui écrit un livre très personnel où il démolit père, mère et société américaine. Ce succès le rend méprisant pour l’autre frère, Adam. Par réaction, celui-ci va se démener et deviendra un trader richissime et brillant qui lui donne même de l’argent pour le dépanner. Alice grimpe dans la société, elle est seule, mais a un super ami du temps de la fac qui ne réussit jamais à garder ses conquêtes, un loser de l’amour quoi. Elle sort aussi avec ses amis homos mais hélas, ils commencent à mourir de ce mal terrible qu’est le sida. Peter ne réussit pas à écrire son deuxième livre, il se fait jeter de son édition. Mais plus tard,  trouve l’idée qui va scandaleusement faire reparler de lui  avec, à la clé, l’explosion de sa famille. En même temps, l’ami homo très proche d’Alice la convainc de se mettre en couple avec son ami « loser »,  ce type formidable avec qui elle s’entend si bien en dehors de toute relation sexuelle, qui a tout pour plaire et sera un compagnon solide. Cette bonne idée arrive juste le soir où il doit partir barouder dans le vaste monde pendant des mois… Ce suspense « insoutenable » nous emmènera à la fin de la trilogie.

Ces trois livres ont chacun leur saveur. On s’attache aux personnages, ils sont bien construits et très ancrés dans des années que nous avons aimées ou détestées, qu’il nous est très plaisant de revivre. C’est une épopée forte et diversifiée, une belle lecture.

la Symphonie du hasard par Douglas Kennedy, trois tomes de 2017 et 2018, traduits par Chloé Royer. Aux Editions Belfond. Et pocket pour les premiers.

Texte © dominique cozette

 

 

Cinq nuits avec Kennedy

Non, pas le grand John, le priapique John, l’amant fugace de milliers d’Américaines,  l’ami des mafieux et l’idole des jeunes et des vieilles. Je parle de Douglas Kennedy. Douggy.L’écrivain anglo-saxon qui a la politesse de se faire interviewer en français lorsqu’il est en France, s’il vous plaît ! et qui nous écrit des bluettes bien de chez lui, enfin pas toujours — rappelez-vous la femme du Vème — mais là, si, on est dans le Maine USA, une petite bourgade où il va nous dérouler une histoire banale comme toutes les histoires palpitantes si ce n’est l’inverse.  Dans la peau de cette femme, technicienne d’imagerie médicale qui décèle les cancers ou les embryons, la vie/la mort quoi, il nous conte son mariage tiède, ses deux grands enfants formidables puis le chômage de son mari et leur éloignement progressif. Et ces fameux Cinq jours, titre de l’opus, qui m’ont tenue compagnie durant cinq nuits.
Que va-t-il donc bien pouvoir se passer lors de ces cinq jours à un congrès de radiologie ??? Vous ne voyez pas ? Mais si, bien sûr. Sa vie va changer. Va s’irradier. Son coeur va s’affoler. Et comment cela va-t-il finir ? Je ne vous le dirai point. Car l’intérêt de ce livre sentimental — un livre de filles comme je dis — n’est pas l’histoire banale comme toutes les histoires passionnantes, mais la façon. La forme. Un vrai voyage dans la middle class, les campus, les avocats, le coût exorbitant de certaines choses gratuites chez nous (ne l’oublions pas), le coinçage (oui, bon) des mentalités puritaines et bien d’autres éléments qui nous rendent la vie des Américains pas si attractive que ça. Les deux semaines de vacances entre autres.
Un bon gros roman qui détaille la vie quotidienne de l’héroïne comme on aime le faire avec nos copines, nos rencontres, nos douleurs, nos regrets, les conseils qu’on donnerait bien à nos gosses s’ils ne nous les renvoyaient pas à la figure, les impossibles retours en arrière, les difficultés de l’amour et la place de la volonté dans la quête du bonheur. La culpabilité aussi, omniprésente, le qu’en-dira-t-on, les idéaux, et la trouille de mal faire.
Je vous en ai assez dit, alors, je termine en vous confirmant que ce n’est pas NKM qui pose pour la couverture.

Cinq jours de Douglas Kennedy, éditions Belfond, 2013. 364 pages.

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