Si vous pensiez tout savoir sur Warhol…

Je viens de finir un pavé formidable ! Et ça ne se lit pas en diagonale. Il s’appelle Warhol, sous titre la biographie et est écrit par Victor Bockis, un mec qui  a vécu et bossé à ses côtés, dans les différentes Factory, qui fut rédac-chef de son magazine Interview et bien plus que ça. J’avais déjà eu affaire à ses écritures lorsqu’il a publié un bouquin super drôle sur les conversations entre W Burrough et Warhol, voir plus bas, ce qui me conforte dans l’idée que, à l’instar du boss, il enregistrait et photographiait tout pour en faire commerce.
Il a raison d’appeler ça la biographie car il n’y a pas plus complet, plus fouillé, plus détaillé, plus fourni que ce livre.  Ce qui est passionnant c’est qu’il nous fait découvrir les différents Andy depuis l’enfance (naissance en 1928) jusqu’à la mort (1987) et les pourquoi de ces évolutions. Pour cela, il se sert des descriptions du personnage, ses accoutrements, ses verbatim, la description des décors, les Factory, les maisons, les bureaux, puis de celles de tous (TOUS) les personnages, bons et mauvais, solides et décadents, sobres et défoncés, cyniques et naïfs, pédés ou pas, célèbres ou pas qui gravitaient autour de lui, et de ceux qui ne voulaient absolument pas le rencontrer mais qui faisaient partie de sa construction.
Tout ça est illustré par un nombre infini de bouts de dialogues et de citations de tas de gens, soit qu’il ait tout noté, soit qu’il les ait interviewés pour écrire le livre. Je signale qu’il a aussi relaté les rencontres avec les détracteurs de l’artiste. Beaucoup sont devenus ses amis, ensuite. Notamment Dylan qui a avait volé sa star, Edie Sedgwick, et qui faisait partie de la bande des acides alors qu’ils étaient de la bande des amphètes. Ou quelque chose comme ça. Il y a aussi beaucoup de mots d’Andy, de postures, de caprices qui rendent compte de son bizarre humour.
Il retrace sa pénible enfance et la maudite école, son côté malingre, leur pauvreté, la vie rude à Pittsburg, l’adoration réciproque de sa mère. Puis les études graphiques où il se révèle, les années illustration puis son désir incandescent de devenir riche et très célèbre. Ça sera difficile, son petit monde gay fait peur et lui même se comporte toujours bizarrement. Il verra avec terreur une génération d’artistes percer avant lui, Cy Twombly, Lichtenstein, Rauschenberg… mais se défoncera (au sans figuré car il laissait la dope aux autres, enfin pas toujours, pour rester lucide), travaillera comme une brute pour y arriver. Ce travail, c’était aussi les sorties extravagantes, les provocs, les réseaux à construire, les importants à rencontrer, les endroits où se faire voir, le personnage glamour à créer.
Intéressant de voir aussi comment il pouvait se faire plumer notamment par Carlo Ponti pour les films qu’il lui a fait distribuer, comment il traitait l’argent, aussi, les liasses partout, les distributions insensées, les cadeaux incroyables. car il était à la fois prodige et près de ses sous.
Etonnant de voir comment se construisait son œuvre qui était le résultat de la collaboration avec tous les hôtes de la Factory. Il ne les payait pas, ou rarement.  Il les entretenait. Les larguait aussi brusquement. Souvent, l’idée venait d’eux et lui se contentait de signer. C’était un chef de gang sans qui rien n’aurait existé. On le suit quand il tombe amoureux, très souvent, ce qui ne veut dire qu’il conclut, trop complexé par son physique, cependant il adore jouer les voyeurs et tout un pan de son art est consacré au sexe. Il adorait des filles, des garçons, les emmenait partout avec lui, les restos, les boîtes, les avions, à la Maison Blanche…
Sa mort est pathétique, idiote. Après, ses deux frères se sont fait rouler dans la farine par ses très proches. Andy achetait sans arrêt, tout le temps, n’importe quoi, de l’art ou des babioles, des joyaux ou des boîtes de biscuits, il les rangeait ensuite sans en profiter, ce qui explique qu’à la fin, ses derniers somptueux locaux étaient envahis par des cartons de déménagement numérotés et datés : beaucoup de ces choses furent vendues aux enchères bien au-dessus de leur valeur mais beaucoup sont restées dans des cantines appelées time capsules dont j’ai eu le plaisir de voir quelques exemplaires au MAC de Marseille en 2015, mais dont rien ne pouvait être consigné ni photographié car les droits appartiennent au musée de Pittsburg. Lien avec le MAC ici.

Vous aurez compris qu’il faut absolument lire ce livre, écrit en 2003 mais enrichi pour la version française qui est sortie en 2015, si vous êtes intéressé par le personnage et amateur/trice de ragots. Car il y a pas mal de ragots. Ça m’a passionnée même si je ne connais pas le quart des gens cités. Mais surtout, ça m’a montré que je connaissais très mal la partie émergée de l’iceberg en ce qui concerne sa production.
(Juste pour donner une idée du boulot de l’auteur : une bibliographie de 14 pages.)
Pour commencer, invitez-vous à la table de Warhol et Burrough (et Mick Jagger) dans un petit livre de poche très drôle :Lien ici


Warhol, la biographie
par Victor Bockris aux éditions Globe, 2015. 2003 pour la VO. Traduit de l’américain par Emmanuelle et Philippe Aronson. 590 pages écrites fin. 29 €.

Texte © dominique cozette

103 mètres de Warhol !

 

Le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris avec Warhol Unlimited présente pour la première fois en Europe l’œuvre intitulée Shadows, impressionnant ensemble de 102 toiles sérigraphiées sur une longueur de 103 mètres !

Commandée par un mécène, cette œuvre comportait d’abord 108 tableaux. Il n’y a pas d’ordre pour les présenter aussi le commissaire a-t-il choisi de les accrocher tels qu’ils apparaissaient.
Mais avant, on pourra découvrir ses portraits filmés, bouts d’essai, étoiles filantes d’une sensualité assez chaude, j’ai un peu loupé Lou Reed, désolée…

Voici la salle tapissée de vaches rouges et jaunes sur lesquelles sont exhibées des photos de la chaise électrique, « diponible en différentes couleurs, bleu, jaune, rouge » comme si c’était une promo.

Plus loin, les reconstitutions d’installation des produits Brillo ou Campbell Soup qui ne sont, bien sûr pas des installations originales, les boîtes ayant été pillées ou achetées aux fins d’expo.
Beaucoup de Jackie aussi, Jackie Kennedy bien sûr, la première dame à prêter son visage à ses portraits médiatiques, on les connaît mais on connaît moins l’émouvante série tirée de photos des obsèques de JFK où Warhol a isolé des images du visage de Jackie, mettant en valeur divers accidents d’impression, d’encrage qui attirent l’œil. Il ne les accrochera plus, par la suite.
Plus gai, le sujet des  fameuses fleurs, avec lesquelles Warhol a cassé la logique de l’accrochage en testant diverses façons non académiques de les présenter au public.

Après un passage auprès des Mao, plein de Mao, que des Mao, on pourra s’amuser dans la salle des ballons argent qui dansent dans la pièce comme autant de nuages, les Silver Clouds …

…avant de finir, sidérés, devant l’immense œuvre qu’est Shadows. Oui sidérée, fus-je, car l’expo est grandiose, plus que ce que je montre parcimonieusement et c’est toujours scotchant de retrouver la répétition récurrente des motifs qu’on croit connaître et qu’on redécouvre à chaque fois.

WARHOL UNLIMITED jusqu’au 7 février 2016. Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. 11 Avenue du Président Wilson
75116 Paris. Tel. 01 53 67 40 00
www.mam.paris.fr

Texte et photos © dominique cozette (et Pascale B.)

 

 

Andy Warhol pas mort.

VIES D’ANDY. Olivia van Hoegarden nous parle du nouveau roman de Philippe Lafitte.

Quand Andy Warhol joue à cache cache, va t-il  droit dans le mur ?

Andy Warhol est mort à New York le 22 février 1987. Mais qui s’en soucie puisque son œuvre l’a immortalisé?  Warhol, lui-même peut-être et Philippe Lafitte qui, avec Vies d’Andy, exhume le génial albinos pour lui offrir un nouveau moment de célébrité. L’auteur dont c’est le 4e roman, révèle que Warhol est bien là où on ne l’attend pas : non pas de l’autre côté du miroir mais de l’autre côté du mur.

Disparu avant la chute du mur de Berlin, Warhol n’aura pas connu la libération des pays de l’Est dont sa famille était originaire . Disparu, oui mais mort ? En est-on bien certain ? Philippe Lafitte avance que le roi du pop art se serait  tout simplement dépouillé de son enveloppe androgyne pour adopter une apparence résolument féminine. Une transformation que n’aurait pas reniée Mary Shelley tant Vies d’Andy conte l’histoire d’une créature de Frankenstein qui aurait bénéficié de toutes les techniques modernes que permet l’argent (une fortune de cinq cent millions de dollars, quand même) pour devenir Sandy Vazhoda.

Si elle modifie l’aspect d’Andy, la chirurgie et les hormones sont impuissantes à résoudre les angoisses existentielles de Sandy qui noie ses incertitudes dans le Valium et les alcools forts. Elle entame un périple qui la mène dans les plus grands musées du monde, sans se douter qu’elle est suivie par Valérie, une gauchiste revancharde qui avait déjà attenté à ses jours vingt ans plus tôt. Jusqu’au jour où dans une galerie parisienne, Sandy découvre un tableau et la réponse à sa quête. Ce n’est pas « en bas » que quelque chose lui manque désormais, c’est à gauche où se situe le cœur exactement ou plutôt l’âme de sa mère tchèque. Dès lors, Sandy n’aura de cesse de retrouver le berceau familial ; que lui importe le Rideau de fer, au travers d’une gueule de bois permanente, elle n’a qu’à dire : « Je veux ».  A Paris, à New York, à Berlin-Est, des « ombres » se démènent et négocient sur le fil,  la réalisation de cette lubie extravagante, somme toute très warholienne. Pour Sandy rien n’est trop cher, rien n’est impossible.

Toute l’aventure est du même tabac. Sandy, toujours imprévisible,  se laisse transporter sans aucun sens du danger afin de retourner dans les contrées ruthènes où jadis sa maman….On ne va tout de même pas tout vous raconter. Mais soyez sûrs que vous ne regarderez plus jamais de la même façon, une boîte de soupe Campbell sérigraphiée…

Avec son style, façon polar drôlatique, Philippe Lafitte nous livre les détails insensés de cette haletante course aux étoiles sur fond de poussière de rêve. Extrêmement bien documenté, l’auteur nous restitue l’exacte ambiance de la fin de la guerre froide  en anecdotes cocasses et situations loufoques. Pour son 4e roman, Lafitte qui édite cette fois chez le Serpent à plumes invente un genre nouveau : l’Eastern, sorte de conquête de l’Est qui inspire à sa plume  cette exploration en warholie sur un mode caustique et drôlatique

A mettre entre toutes les mains, Vies d’Andy se lit d’une traite comme un thriller. Probablement le meilleur opus de Lafitte. Alors Andy ? Dites-lui « Oui ».

© Olivia van Hoegarden

Vies d’Andy de Philippe Lafitte, 17,50 euro
Chez le Serpent à plumes.
Sortie le 26 aout.

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